OUSMANE SONKO ET LA CRAINTE LÉGITIME D’ÊTRE CONDUIT À LA…SERAS JUDICIAIRE

La Crei de même que la chambre correctionnelle ou criminelle sont considérées comme de redoutables juridictions d’exception pour une certaine catégorie de prévenus et d’accusés. Notamment les opposants aux différents régimes au pouvoir

En 2019, Karim Wade et Khalifa Sall, les deux plus sérieux rivaux de Macky Sall frappés par des condamnations judiciaires, avaient été recalés à l’élection présidentielle de cette année-là par le Conseil constitutionnel. Le spectre de la « condamnabilité » plane de nouveau avec l’affaire « Sweet-Beauty » au lendemain du renvoi d’Ousmane Sonko devant la chambre criminelle qu’il qualifie d’abattoir politique. Une sorte de « Seras » où le leader de Pastef risque d’être juridiquement condamné et politiquement égorgé. D’où son appel à la résistance à la place Tahrir — pardon Yékini ! — de Keur Massar. Toutefois, un ancien magistrat (parquetier) interrogé par « Le Témoin » explique que la chambre criminelle est loin d’être un abattoir mais constitue plutôt un enclos où tout « animal » innocent peut échapper couteau égorgeur voire être acquitté. Un ancien magistrat qui prend sans doute les Sénégalais pour de grands enfants!

La Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) de même que la chambre correctionnelle ou criminelle sont considérées comme de redoutables juridictions d’exception pour une certaine catégorie de prévenus et d’accusés. Notamment les opposants aux différents régimes au pouvoir. En tout cas, tous les prétendants sérieux à l’élection présidentielle dans notre pays, du moins qui pouvaient empêcher la réélection du président Macky Sall, et qui ont été traduits par lui devant ces juridictions ont été égorgés à l’abattoir avant d’être dépecés politiquement. Ce fut le cas de Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, condamné à cinq ans de prison pour « escroquerie aux deniers publics » avant d’être radié de ses fonctions de maire et déchu de son mandat de député ! Avant lui Karim Wade, le fils de l’ex-président Abdoulaye Wade, avait écopé de six ans de prison pour « enrichissement illicite » avant d’être exilé au Qatar après avoir passé deux ans à la prison de Rebeuss. De fait, tous les deux (Karim et Khalifa) ont été recalés de la course à la présidentielle de 2019 par le Conseil constitutionnel. Motifs évoqués, la « condamnabilité ». Une doctrine de mise à mort politique qui nous rappelle l’« Ivoirité »,un concept imaginé par la Côte d’Ivoire des années du président Henri Konan Bédié pour recaler la candidature de l’alors opposant Alassane Ouattara, présenté comme étant de père burkinabé.

Toujours est-il que, dans notre pays, depuis la signature de l’ordonnance de renvoi et de mise en accusation d’Ousmane Sonko devant la chambre criminelle pour « viols répétés » et « menaces de mort », le spectre de la « condamnabilité » plane surl’affaire « Sweet Beauty ».Une chambre criminelle qualifiée de « Seras » (abattoirs) par le leader de Pastef, Ousmane Sonko lui-même, et ses partisans. Pour eux et comme pourla plupart des observateurs politiques, une éventuelle comparution d’Ousmane Sonko devant une telle juridiction seraitsynonyme de condamnation provoquant son inéligibilité à la présidentielle de 2024. D’où son appel à la résistance baptisée opération « Gatsa-Gatsa » (loi du talion) lancé depuis le terrain de Keur Massar transformé en place Tahrir. Dans sa tenue de combat à la Zelensky, Ousmane Sonko a soutenu devant une foule immense que « Macky Sall veut me traduire devant la chambre criminelle pour me faire condamner et m’empêcher d’être candidat en 2024 ». Ce qui l’a conduit à jurer face à ses milliers de partisans et de sympathisants acquis à sa cause que « Macky Sall ne se soucie pas du Sénégal. Il a tout fait, avec son régime, pour m’écarter de la course à la présidentielle. Mais, c’est peine perdue ! Parce que je sais que vous, le peuple, vous allez tenir debout pour l’en empêcher. Bilahi, je vous jure et assure que je suis prêt pour le combat. Nous avons atteint le terminus! J’ai déjà fait mon testament. Nous allons nous battre sur le terrain, avec Macky Sall, et quoi qu’il nous en coûtera » a martelé Ousmane Sonko tout en soulignant avoir fait son testament pour mourir en martyr.

De la Cour de répression de l’enrichissement illicite à la Chambre criminelle…

Comme la Crei, la chambre criminelle serait-elle un couloir de la mort politique au point que le leader de Pastef Ousmane Sonko, soutenu par ses partisans, refuse d’y comparaitre et sonne la résistance ? Pour répondre à cette question, un magistrat à la retraite nous renvoie d’abord aux différentes et dernières sessions de la Chambre criminelle du Tribunal de Grande Instance de Dakar. « Si vous regardez la liste ou le rôle de chaque session et les décisions rendues, vous verrez que plusieurs individus ou accusés ont été acquittés après avoir été jugés pour différents crimes tels que les vols à main armée, vols en réunion, meurtres, viols, assassinats, trafics de drogue etc. » a rappelé cet ancien parquetier ayant servi à la Cour d’Appel de Dakar. Qui oublie juste de souligner qu’aucun de ces malheureux accusés ou prévenus ne menaçait le pouvoir du président Macky Sall à l’instar de Karim Wade et de Khalifa Sall !

Puis, notre interlocuteur explique et argumente à la manière d’un réquisitoire : « Donc pourquoi autant de bruit pour une ordonnance de renvoi dans une affaire concernant deux Sénégalais (Ndlr : Ousmane Sonko et Adji Sarr) ? Pour ceux qui veulent savoir, cette décision du juge d’instruction Oumar Maham Diallo a une double fonction : elle met fin à la phase d’instruction entrainant par la même occasion le dessaisissement du juge d’instruction, et la saisine du tribunal correctionnel ou de la chambre criminelle chargée de juger l’affaire. Ce qui est important c’est que, durant la phase de jugement, le raisonnement du juge d’instruction ne s’impose pas au tribunal. En effet, un renvoi ne signifie nullement une déclaration de culpabilité. La culpabilité ne peut être fondée que sur des éléments de preuves produits et discutés devant le tribunal qui doit juger, c’est dire qu’on vient d’entrer dans le domaine de la preuve. La présumée victime (Adji Sarr) doit donner les éléments de fait, le procureur doit prouver l’existence d’une infraction, le prévenu ou l’accusé (Ousmane Sonko) doit se défendre et le tribunal doit trancher. Donc pourquoi autant de tension pour un simple renvoi en jugement, occasion pour l’accusé de démonter l’accusation ? Comment des professionnels du droit (avocats) peuvent-ils avec une légèreté déconcertante se mettre à la place du juge d’instruction pour décider de l’issue d’une procédure d’instruction là où les supérieurs de ce magistrat n’ont même pas leur mot à dire puisque n’ayant pas accès au dossier ? » s’est interrogé ce magistrat à la retraite joint par « Le Témoin » quotidien. Qui poursuit en disant que « s’il ne peut être interdit au citoyen de donner son avis, il faut aussi accepter que, de par la loi, seul le magistrat est habilité à rendre sa décision fondée non pas sur des commentaires venus de l’extérieur, mais sur les éléments de son dossier et rien d’autre ! » a « requis » ce parquetier à la retraite avant d’insister à l’attention des deux parties renvoyées devant une chambre criminelle : « Oui, je le rappelle ! Le raisonnement du juge d’instruction ne s’impose pas à la juridiction de jugement. L’article 414 du code de procédure pénale est le socle de la preuve devant la juridiction de jugement. Donc, je suis désolé de vous dire que la chambre criminelle est loin d’être un abattoir politique comme le prétendent certains activistes, mais plutôt un enclos d’où tout animal « innocent » peut échapper c’est-à-dire être acquitté » a rassuré notre ancien parquetier tout en soulignant qu’il parle de droit, et non de politique. Sauf que cette affaire Adji Sarr/Ousmane Sonko est éminemment politique !

Me Etienne Dione dénonce …l’échafaud

Il est vrai que comparaison n’est pas raison ! Car les nommés Khalifa Sall et Karim Wade étaient poursuivis par l’Etat tandis qu’Ousmane Sonko ou le leader de Pastef est en apparence accusé par une citoyenne nommée Adji Sarr bien que l’accusé ou le prévenu ne soit pas un citoyen comme les autres. Il est un sérieux candidat à l’élection présidentielle de 2024. Certes, la perception d’une instrumentalisation politique de la justice s’accompagne de celle d’une justice à deux vitesses. Elle repose (justice à deux vitesses), d’une part, sur la célérité « Fast track » avec laquelle les affaires impliquant des opposants politiques ou candidats à la présidentielle sont traitées et, d’autre part, par la quasi-absence des poursuites judiciaires contre des proches du pouvoir en place.

Compte tenu de ce qui précèdent, certains s’accordent à reconnaitre que le leader de Pastef, Ousmane Sonko, ne pourrait nullement survivre là où Karim Wade et Khalifa Sall ont été politiquement guillotinés. D’ailleurs, Me Etienne Dione, avocat à la Cour, semble confirmer cela en déclarant que nul ne peut évoquer ou plaider l’affaire « Sweet Beauty » dans laquelle Ousmane Sonko est injustement impliqué par Adji Sarr sans rappeler les jurisprudences Karim Meissa Wade et Khalifa Ababacar Sall. « Parce que tous les deux ont été envoyés à l’échafaud et politiquement exécutés dans les mêmes conditions et dans les mêmes périodes électorales. Mieux, Karim Wade et Khalifa Sall ont été privés de leur droit de participer à des élections présidentielles suite à des conséquences tirées des décisions correctionnelles les condamnant.

En effet, et de manière subtile, sur fond de règlement de comptes, on s’est servi de la justice pour éliminer des adversaires politiques, sérieux candidats à la présidence, qui troublaient le sommeil du régime en place. Seuls, les partisans de la mouvance présidentielle, et pour cause, pensent le contraire. Mais c’était trop gros, le fil blanc, pour qu’on ne sache pas que c’était un complot politico-judiciaire ourdi pour combattre, de manière déloyale, des prétendants au fauteuil présidentiel » s’est désolé l’avocat. Et Me Etienne Dione de poursuivre sa plaidoirie en ces termes : « Donc, vous conviendrez avec moi que Ousmane Sonko a de sérieuses raisons de croire qu’on veut en faire la prochaine et troisième victime (jamais deux sans trois) de cette pratique honteuse et non moins dégueulasse, de ceux qui détiennent le pouvoir. D’ailleurs, c’est tellement vrai qu’il n’est pas nécessaire d’être un agrégé en droit, un brillant avocat ou un excellent juge, pour dire que ce dossier ne devrait connaître qu’un seul sort : Le classement sans suite par le maître de l’opportunité des poursuites, le procureur de la République, ou bien le non lieu par le juge d’instruction prononcé. Toutes choses qui font que Sonko, malgré l’absence de charges à son encontre, nourrit des craintes légitimes par rapport au procès en vue. Bref, en sa qualité de candidat à la présidentielle de 2024, il refuse d’être envoyé à l’abattoir. Et il a parfaitement raison… » estime notre avocat donnant son avis sur l’appel de Keur Massar, une commune située dans la banlieue dakaroise.

Une chose est sûre et constatée : ces dix dernières années — sous le magistère du président Macky Sall donc ! —, le Sénégal est devenu une véritable République des abattoirs politiques (Rap) où tout sérieux candidat opposant au régime en place est conduit à la… Seras judiciaire pour être égorgé !

Le Temoin

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