[Feuilles d’hivernage] Lieu de culte, passage obligé des Damels à Ndande : Les mystères du puits de Kalom Fall

Le royaume du Cayor est riche d’un patrimoine culturel et historique exceptionnel. À Ndande, dans le département de Kébémer, le gigantesque puits de Kalom Fall exerce un fort pouvoir d’attraction et de fascination. Cette merveille naturelle, voilée de mystère, est entourée d’histoires, de génie, d’esprits. Ce lieu de culte, jadis théâtre de l’intronisation de Lat Dior et nombre de Damels, continue d’intriguer les plus curieux. S’y promener est une expérience exceptionnelle et unique. Ici, réalité et merveilleux tissent une trame étroite, parfois difficile à démêler.

 

Par Samba Oumar FALL, Salla GUÈYE (Textes) et Ndèye Seyni SAMB (Photos)

Les marques du passé glorieux de la cité sont encore visibles dans les différentes ruelles. Les vestiges coloniaux offrent de véritables escapades dans le temps. Même si, parfois, ces souvenirs, loin d’être fugaces, se font discrets. Nous sommes à Ndande, terre d’histoire et de traditions logée au tréfonds de l’ancien royaume du Cayor. Témoin d’une époque révolue, quand le commerce de l’arachide faisait tourner l’économie locale, sa gare ferroviaire qui a perdu de sa superbe se dresse au quartier Escale. Aujourd’hui, l’édifice, malmené par l’âge, est en piteux état, triste à voir. Par endroit, des concessions au toit de briques rappellent le passage des colons français et traitants européens et syro-libanais qui avaient la mainmise sur les revenus de l’arachide. Au détour des rues sablonneuses, des maisons de commerce (Maurel et Prom, Vezia, Peyrissac, Chanel, Nosoco), épargnées par le cycle de démolition et de reconstruction, dialoguent avec le paysage urbain et les nouveaux édifices. Situé sur l’axe Thiès-Saint Louis, Ndande, à première vue, ne paie pas de mine. Il suffit, cependant, d’y mettre les pieds pour avoir une idée du rayonnement formidable qu’a connu, dans le passé, ce site historique du Cayor.

À quelques encablures de la gare, le puits de Kalom, un mystère enfoui au cœur du quartier Escale, se dévoile. Ce chef-d’œuvre, façonné par la nature, impressionne par sa forme, ses dimensions. Nul n’est parvenu à déterminer les origines ni à dater ce puits mystérieux qui fascine, depuis toujours, historiens, chercheurs, touristes et simples curieux. Il n’existe pas la moindre trace écrite pour élucider le mystère et permettre d’en apprendre davantage. Ceux qui s’aventurent à conter son histoire s’inspirent de la tradition orale, qui se transmet de génération en génération, de témoignages d’anciens, parfois de théories les plus mystiques. Plusieurs versions entourent son histoire, son origine exacte.  Certaines sources attribuent sa découverte aux Mandingues, qui seraient les premiers habitants de Ndande, d’autres aux Sérères qui voulaient, à l’époque, abreuver leur bétail.

Trouvé sur les lieux, Baye Niass Thiam fait office de gardien du temple ; même si ce titre n’a rien d’officiel. Son grand-père, Diogomaye Thiam, faisait partie des griots de Lat Dior. Pendant des années, il est préposé à raconter aux visiteurs l’histoire du puits emblématique qui date de la nuit des temps. Selon Thiam, ce puits de 45 mètres de profondeur et 11 mètres de diamètre a été découvert au 7e siècle et remonterait à l’Empire du Macina, du Tékrour …

Ce qui est sûr, selon Serigne Mbacké Fall, Conservateur des sites historiques de Ndande, c’est que ce puits qui a favorisé le peuplement de Ndande était stratégique parce qu’étant le seul point d’eau du Cayor à l’époque. Son nom, indique-t-il, est tiré du mot « Colon’ho » (puits en mandingue). « D’après les historiens, les Mandingues furent les premiers habitants de Ndande », explique-t-il. « La tradition orale fait remonter son forage soit à Ndiadiane Ndiaye (XIIIe siècle) soit à Kankan Moussa (XIVe siècle) dans l’Empire du Mali », fait-il remarquer.

 

L’empreinte des Damels

Surgi de nulle part, le puits de Kalom Fall qui n’a rien d’ordinaire suscite, aujourd’hui, beaucoup de curiosités. C’était, nous dit-on, le seul point d’eau de la localité ; ce qui en avait fait un lieu de convergence des habitants des environs et même au-delà. Très stratégique, militairement surtout, son contrôle était d’un enjeu capital, selon le Conservateur des sites historiques de Ndande. À en croire Serigne Mbacké Fall, beaucoup de combats se sont déroulés autour du puits. « On raconte que le puits de Kalom fut l’objet d’un âpre combat entre Lat Dior Ngoné Latyr Diop et Madiodio pour son contrôle », indique-t-il. L’histoire du puits de Kalom est indissociable de celle du Cayor avec sa longue et tumultueuse succession de Damels, selon Baye Niass Thiam. Avant leur intronisation, ils devaient se présenter sur les lieux pour un rituel suivant les coutumes et pratiques de l’époque. « Le puits de Kalom était un passage obligé des Damels. Avant qu’ils ne soient intronisés, ils venaient s’y purifier. C’était tout un rituel », explique Baye Niass Thiam. L’assemblée, constituée essentiellement de sages, lui posait des questions. On lui remettait alors une corde qu’il devait tirer jusqu’au Baobab situé à une vingtaine de mètres sans qu’elle ne se casse. Puis on le préparait, lui faisait prendre un bain, avant de lui donner des gris-gris. Sept coups de feu étaient ensuite tirés dans le ciel. On lui prodiguait des conseils, priait pour un long règne et beaucoup de victoires », fait-il savoir. Pour Serigne Mbacké Fall, l’histoire du fameux puits de Ndande doit être connue des Sénégalais, car, renseigne-t-il, « Lat Dior et certains Damel du Cayor ont été intronisés à Ndande, autour de ce puits, suivant les rites et coutumes ou pratiques en vigueur à l’époque ». Ne chante-t-on pas avec fierté : « Pinthie ba thia Kalom Damel yag na fa teignou !» (À la place publique de Kalom, les Damels ont été intronisés !).

De l’avis de Baye Niass Thiam, « Lat Dior, avant d’aller livrer bataille à Danki, à Ngol-Ngol, Paoskoto, Samba Sadio, Loro, et Ndande, s’est préparé à Kalom Fall ».

À la fin du règne des Damels, les Lamane ont joué leur partition. Et aujourd’hui, la famille Fall a hérité de ce puits et ses mystères et joue, selon Serigne Mbacké Fall, un rôle prépondérant dans la gestion de ce site et des fêtes rituelles qui y sont attachées. Outre le puits, Ndande, indique le conservateur des sites historiques de Ndande, regorge de sites comme la gare, la tombe de Malawi, le cheval de Lat Dior, entre autres.

Pouvoirs mystiques et vertus thérapeutiques

Le puits de Kalom, loin d’être dépositaire d’une chape de sainteté, revêt un caractère mystique. Il lui est associé, par la mémoire collective, des symboles de bains purificateurs, de rites et de cultes rendus à l’esprit qui l’habite. Un serpent qui y vivrait avec sa famille, selon Baye Niass Thiam. Et que l’on devait amadouer par des sacrifices et offrandes. Depuis la nuit des temps, affirme-t-il, des gens, convaincus que leurs désirs qui sont au-delà de leurs pouvoirs ne pouvaient être réalisés que par l’esprit de Kalom Fall, venaient solliciter ses faveurs, en échange d’offrandes, de sacrifices. Le serpent que d’aucuns présentent comme le « totem » de la ville était consulté pour contrecarrer un malheur, débloquer une situation, faciliter un mariage, demander des enfants, éviter des catastrophes, demander de la pluie, des récoltes abondantes… Sa mère, renseigne-t-il, s’occupait de ce volet sacrificiel. Une aptitude qu’elle avait héritée de sa mère. Cette dernière lui avait légué quelques pouvoirs. « De son vivant, ma mère s’occupait des sacrifices. Elle était très sollicitée par les gens qui imploraient l’esprit. Ils apportaient de la viande, du couscous, du lait caillé, des fruits qu’ils remettaient à ma mère. Après un rituel et des incantations, dont elle seule avait le secret, elle déposait près du puits », renseigne-t-il. Sa mère, nous apprend-il, avait tissé un lien étroit avec l’esprit du puits qui lui apparaissait périodiquement et savait communiquer avec lui. « Il arrivait que des serpents, par dizaines, sortent de sa cuisine avant de regagner leur refuge. Ils étaient inoffensifs », soutient Thiam, non sans préciser que les sacrifices et offrandes étaient un moyen très efficace pour la réalisation des vœux. C’est pourquoi, fait-il remarquer, cérémonies et cultes d’offrandes et de sacrifices ont toujours rythmé la vie de ce puits. « Ndande, à l’époque, était un vrai pôle commercial avec surtout la traite de l’arachide. Les commerçants et autres traitants, à la quête de prospérité, venaient faire des sacrifices pour que leur business marche », indique Thiam. « Il arrivait même qu’on mette des calebasses remplies d’offrandes tout autour et le lendemain, on les retrouvait miraculeusement vides. On ne savait qui les mangeait », fait savoir Thiam.

L’eau est symbole de vie, moyen de purification et source de régénérescence. Celle de Kalom était réputée, selon la légende, pour ses vertus curatives. Elle avait, selon Thiam, la capacité de guérir certaines maladies. « Des visiteurs venaient de partout chercher l’eau et profiter de ses bienfaits tant vantés », affirme Baye Niass Thiam. Les légendes portent toujours une part de vérité ; la preuve, à une certaine époque, renseigne Thiam, cette eau a fait l’objet d’une intense commercialisation par des gens cupides. Une activité qui a cessé avec le tarissement du puits vers la fin des années 1970, informe-t-il. Pour autant, cela n’a pas enrayé la fréquentation du puits.

Des connaisseurs viennent se ressourcer à Kalom Fall. « Oumar Ndiaye Ndiosmone a visité le puits et est entré en communion avec l’esprit. Il a parlé avec lui dans un langage que je ne maîtrisais pas. Il était venu avec quatre personnes pour les guérir. Il lui a parlé et a promis de faire ce qu’il voulait », indique Thiam. En 1961 également, poursuit-il, un homme du nom de Grand Gaye est descendu dans le puits. « Il a donné une calebasse de couscous et du lait et le serpent l’a mangé ». Des érudits venus notamment du Mali, de la Guinée ont offert à l’esprit, en guise d’offrandes, des malles remplies de fruits. Le puits a reçu, selon Baye Niass Thiam, la visite du fils de Joseph Ki Zerbo et des envoyés de Mathieu Kérékou, Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Toujours, informe Baye Niasse Thiam, le marabout conquérant, Mamadou Lamine Dramé, est venu à Kalom et a fait des prières. Tout comme Cheikh Ahmadou Bamba, Maodo Malick Sy, Cheikh Ibra Fall, Abdou Cissé Diamal et plusieurs autres érudits.

De l’avis de Baye Niass Thiam, les sacrifices et offrandes ont survécu aux temps. Mais aujourd’hui, regrette-t-il, la donne a complètement changé. Ils se font de plus en plus rares et « l’esprit n’a plus ce qu’il veut ».

 

Le  »Raw » de Kalom, une institution 

L’eau du puits était recherchée pour ses vertus mystiques et miraculeuses, indique Thiam. À l’époque, relève-t-il, des gens venaient de partout, même de l’étranger, pour s’en procurer. Mais, précise-t-il, l’eau a tari depuis la fin des années 70. Malgré tout, les lieux n’ont jamais été abandonnés. En effet, le puits est le théâtre d’une cérémonie rituelle appelée le Raw de Kalom (récurage). L’objectif était de creuser le puits pour retrouver de l’eau. Avant, nous apprend-on, le récurage se faisait chaque année. C’était une occasion de prier pour un bon hivernage et de bonnes récoltes. Aujourd’hui, le Raw de Kalom est organisé à une date qui coïncide avec celle du gamou annuel. Mieux, cet évènement, devenu une institution, est même inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel du Sénégal.

À 45 mètres de profondeur, il faut du courage pour s’aventurer au fond du puits. Selon Serigne Modou Fall, le Raw est un exercice exclusivement dévolu à la famille Fall de Ndande, descendants des Lamane, qui descendent au fond du puits. « C’est tout un rituel qui accompagne les puisatiers qui, à l’aide de cordes, entrent dans le puits pour le récurer », indique-t-il. Cette fête au son des tam-tams est rythmée par les chants, les danses, mais aussi les prières. On jette du mil dans le puits, fait des offrandes en l’honneur de l’esprit maitre des lieux. La dernière édition, selon Babacar Ndiaye, le gardien du site, a drainé un monde fou. La ferveur était au rendez-vous. C’était au mois de mai dernier. « Nous avons assisté, lors du gamou célébré au mois de mai dernier, à de vrais moments de communion. La manifestation à drainer du monde et le lieu avait peine à contenir tout ce monde qui avait fait le déplacement. Certains étaient obligés de grimper sur les murs et les arbres pour ne rien rater de la scène ». La tradition a, selon lui, été respectée. « Il y avait tout le rituel qui accompagnait la cérémonie. Quatre personnes sont descendues dans le puits pour faire des sacrifices, offrandes et prières », a fait savoir Babacar Ndiaye, non sans confirmer que tout ce qui se dit sur le puits de Kalom est une réalité. Et les populations de Ndande, affirment-ils, « y croient toujours ». Selon le gardien des lieux, « aucun accident n’a été noté depuis des années ». De même, précise-t-il, il est interdit de toucher les serpents, de les tuer. « L’année dernière, quelqu’un a passé outre cette interdiction, le magasin de stockage qui se trouve à quelques encablures, a pris feu sans qu’on ne sache ce qui a provoqué l’incendie », indique Babacar Ndiaye qui a aussi évoqué la présence d’abeilles « mystérieuses » dans le puits.

Un mur de clôture, remplaçant les piquets plantés par les populations, a été érigé autour du puits en 2021 dans le cadre de la valorisation du site ; une contribution du Ministère du Tourisme pour participer au développement local à travers l’aménagement et la mise en tourisme du site. Un restaurant et un musée (non encore fonctionnels) y ont été construits. L’entrée est payante. Pour visiter le puits, il faut débourser 1.000 FCfa. Un coût assez excessif pour les riverains. Mais selon Babacar Ndiaye, le lieu est plus fréquenté par les touristes qui viennent des États-Unis, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de l’Espagne, du Portugal.

Lesoleil

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