[MEDIA’TEK] Birame Faye, le « Monsieur Foncier » qui a secoué le Sénégal avec ses enquêtes choc
Au sommet des genres « nobles » du journalisme trône l’enquête. Une pratique qui revêt une importance particulière. Si elle est affectionnée par les journalistes occidentaux, sa renommée en Afrique, notamment au Sénégal, connaît un léger déclin. Au sein de l’élite restreinte des journalistes sénégalais ayant fait de cette spécialité leur étendard, Birame Faye occupe une place de choix et ce n’est pas son palmarès qui va le contredire.
Au Sénégal, les conflits fonciers ont toujours été source de vives tensions. L’un des plus marquants a éclaté à Mbane, où une lutte a opposé les habitants locaux à la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS). Cette dernière cherchait à expulser 10 villages pour la mise en place du projet Kt 150, couvrant une superficie de 4 312 hectares. Malgré l’opposition catégorique du Conseil rural, la CSS persiste dans son projet visant à produire 150 000 tonnes de sucre par an afin de rendre le pays autosuffisant.
À l’époque, le scandale est révélé par le journaliste du journal Le Quotidien, Birame Faye. Ce reporter d’investigation “secoue le cocotier” en mettant en lumière des faits qui ont fait des heureux.
« Le maire, à l’époque, était en conflit avec la CSS. Il s’est avéré que son frère, des années auparavant, avait été emprisonné à cause de cette affaire. Lorsque je l’ai contacté, le maire m’a confié que s’il révélait cela, les gens pourraient penser qu’il se battait à cause de l’emprisonnement de son frère. Cependant, après la publication de mon article, deux jours plus tard, son frère a été libéré. Il m’a alors appelé », se remémore-t-il avec satisfaction.
Les enquêtes font partie intégrante du quotidien de ce professionnel des médias, en particulier dans le domaine foncier. Cette spécialisation lui a valu le surnom bien mérité de « Monsieur Foncier ».
Les reconnaissances de Birame Faye dans le monde du journalisme
Sa carrière journalistique a débuté -et a mûri- au sein du journal Le Quotidien, de 2008 à 2016. Il est un personnage du monde de la presse oeuvrant dans l’ombre mais aux réalisations utiles à la communauté. Birame Faye compte parmi ses mérites un impressionnant palmarès de récompenses journalistiques. Sa collection démarre en 2011 avec son enquête sur les terres de Mbane, qui lui vaut le prestigieux Prix du Journalisme d’Investigation décerné par l’Institut Panos de l’Afrique de l’Ouest (Ipao).
Bis repetita en 2013, où il est honoré par la même institution pour son travail sur l’exploitation des mines dans la région de Kédougou et le pillage du bois dans la région de Sédhiou.
Grâce à une investigation approfondie sur le trafic de drogue le long de l’axe Dakar-Bamako, il remporte le deuxième prix de la Convention des Jeunes Reporters (CJRS) ainsi qu’un autre du CESTI sur le secteur extractif.Pour cet ancien étudiant de la 37e promotion, cette reconnaissance revêt une saveur particulière : “Ce prix est celui qui m’a le plus touché, car ce sont mes anciens formateurs qui me l’ont remis”.
En 2014, Birame décroche le Prix Schneider Electrique pour son traitement du problème de la contrefaçon électrique. Cette distinction marque la conclusion de son aventure dans le domaine de la presse.
En plus de sa notoriété acquise dans ce domaine, il est titulaire de plusieurs qualifications, dont un master en médias et communication ainsi qu’un autre en gestion de projet.
Fort de toutes ces compétences et distinctions, l’ONG Innovation Environnement Développement (IED) sollicite ses services en 2016 pour assumer le rôle de coordinateur d’un programme axé sur l’agriculture familiale durable. Une mission qui ne fut pas de tout repos. Il explique : “Il y avait un volet communication très conséquent, car la réalisation d’un magazine trimestriel était indispensable. Cela signifiait que toutes les trois mois, il fallait intégrer dans le magazine toutes les expériences agricoles documentées. La gestion d’un site web, la coordination d’un secrétariat, les déplacements sur le terrain auprès des acteurs agricoles… C’était un programme d’envergure”.
Promouvoir le genre dans les médias : Birame Faye et la lutte pour la visibilité féminine
De l’IED, il rejoint, par la suite, l’Institut Panos en tant que coordinateur régional des médias, une fonction qui le reconnecte à sa « famille naturelle ». Il organise fréquemment des ateliers de renforcement des capacités et participe à la production de ressources pédagogiques pour les médias. L’ONG s’engage également dans la promotion du genre au Sénégal à travers son projet « Femme, occupez les médias ».
Une lutte à laquelle Birame Faye contribue à travers plusieurs actions, dont un article intitulé « L’information médiatique en Afrique : Cherchez les femmes ». « En dehors du 8 mars, pratiquement, les médias ne parlent pas de sujets liés aux femmes. Les médias ne donnent pas beaucoup la parole aux femmes. C’est le constat général. Au Sénégal, cela se situe toujours entre 4% et 5%. Ainsi, les femmes demeurent invisibles dans les médias », déplore-t-il, soulignant la place marginale accordée aux contenus médiatiques féminins.
Outre les considérations sociales et culturelles que Birame qualifie de « prétextes faciles », l’autre explication de cette sous-représentation féminine dans le traitement de l’actualité réside dans les habitudes de collecte d’un bon nombre de reporters. « Très souvent, au cours des ateliers, nous abordons ces détails, mais les journalistes se rendent compte par eux-mêmes que, bien que cela soit faisable, pourquoi ne le faisons-nous pas ? Pourquoi, lorsqu’on interroge trois hommes sur le terrain, ne cherchons-nous pas à interroger au moins une femme ? Lorsque nous voulons faire intervenir des experts, ne cherchons-nous pas à faire intervenir au moins des expertes ? », exprime le coordinateur médias de l’Institut Panos. Fort de son expérience dans le domaine de l’investigation, Faye dispense parfois des formations sur le sujet
L’investigation, clé de voûte de l’avenir de la presse écrite
Au Sénégal, rares sont les médias qui recourent à ce genre journalistique, principalement en raison de l’accès à l’information, un obstacle majeur. L’autre point s’explique par son exigence en termes d’information.
Pour tout professionnel, une enquête de qualité requiert l’appui de chiffres et de données provenant de diverses sources dont gouvernementales. Cependant, la quête, chez cette dernière, s’avère parfois difficile, voire impossible à surmonter pour certains investigateurs, les poussant fréquemment à abandonner leurs initiatives. « Lorsque l’on évalue les investigations, l’idée initiale qui consiste à mener une enquête se transforme souvent en un dossier ou de grands reportages. Cela est dû, néanmoins, au manque de données probantes susceptibles de nourrir davantage l’investigation », estime Birame Faye, qui salue les rares maisons de presse accordant encore une importance particulière à l’investigation, à l’instar de la Maison des Reporters.
Ce média indépendant, principalement axé sur la production d’enquêtes, dirigé par Moussa Ngom, opère grâce à des dons et à la vente de réalisations aux entreprises de presse occidentales.
Fort de son expérience dans la presse écrite, Birame Faye est convaincu que la survie des journaux passe inéluctablement par une réévaluation de l’investigation : « L’avenir de la presse écrite réside dans l’investigation. En effet, la presse écrite ne peut plus se permettre de reproduire le lendemain ce que la presse en ligne a déjà publié la veille. À un certain moment, elle est destinée à disparaître. Ainsi, il est impératif que la presse écrite cherche à se démarquer en nous proposant le lendemain des informations dignes de ce nom, c’est-à-dire au vrai sens du terme. Des informations qui ne sont pas encore connues, qui n’ont pas encore été publiées. Si la presse écrite persiste à nous offrir ce que la presse en ligne a déjà diffusé, quel serait l’intérêt d’acheter un journal ? ». Pour étayer ses propos, il évoque la baisse des ventes de journaux au Sénégal, qui serait passée de près de 250 000 exemplaires à seulement 100 000.
Les fondements du véritable journalisme d’investigation
Pour restaurer la splendeur de cet art qu’est le journalisme d’investigation, il est impératif de faire appel à des professionnels érudits qui observent scrupuleusement ses principes fondamentaux.
À cet égard, le journaliste “en détachement”, conformément à sa carte de presse, est d’avis que l’autoproclamation ne confère point le titre de journaliste d’investigation. « La simple diffusion en direct pour déclarer ‘j’ai observé ceci’ ou ‘j’ai reçu tel rapport’ ne constitue pas une démarche investigative. Tout document reçu doit participer à la formulation d’une hypothèse d’enquête. Ce sont là les règles cardinales du journalisme. Il est essentiel de procéder à une triangulation des sources », exprime-t-il en faisant référence au cas de Pape Alé Niang.
Birame Faye incite également les journalistes à se réapproprier ce genre journalistique en accordant une importance particulière aux données. En ce qui concerne l’État, il souhaite que l’accès à l’information soit simplifié, à l’instar des 26 pays africains qui l’ont déjà adopté.
Un autre aspect mis en exergue par le coordonnateur de l’institut Panos réside dans l’espoir que les écoles de formation accordent une place de choix à ce domaine dans les modules. « Si l’on se rend à Londres, aux États-Unis, voire en France, on constate la présence de centres entièrement dédiés à l’investigation, hébergés au sein des écoles de journalisme », souligne-t-il, tout en encourageant ses confrères à recourir aux nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle.
seneweb
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