L’interdiction de sortie du territoire : que dit la loi ?
Le droit de circuler librement, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du territoire national, est un droit fondamental reconnu aux citoyens sénégalais. Ce droit est protégé par plusieurs instruments internationaux auxquels le Sénégal est parti, ainsi que par des dispositions constitutionnelles. Cependant, l’interdiction de sortie du territoire (IST) est une mesure restrictive qui permet d’empêcher une personne de quitter le pays. Elle peut être prononcée par différentes autorités (judiciaire, administrative, douanière, fiscale) pour des raisons variées, telles que la sécurité nationale, l’ordre public, les nécessités judiciaires ou le recouvrement des créances fiscales. Chaque autorité compétente dispose de son propre cadre juridique pour justifier l’application de cette mesure.
1. Cadre constitutionnel et législatif de la liberté de circulation
L’article 91 de la Constitution dispose que : « Le pouvoir judiciaire est gardien des droits et libertés définis par la Constitution et la loi » autrement dit, le juge est le dernier rempart contre l’injustice et l’illégalité
L’article 8 Constitution du Sénégal dispose en substance que « Tout individu a le droit de circuler librement, de s’établir et de quitter le territoire national ». Cette liberté est également reconnue par la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) L’article 13 alinéa 2 dispose que « Tout individu a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), ratifiées par le Sénégal.
Cet article présente les différents régimes de l’interdiction de sortie du territoire au Sénégal selon les autorités qui la prononcent : l’autorité judiciaire, l’autorité administrative, les services douaniers, et les autorités fiscales.
1. Interdiction de sortie du territoire prononcée par le Juge :
a- CADRE JURIDIQUE :
Le principal cadre légal pour l’interdiction judiciaire de sortie du territoire est le Code de procédure pénale en ses articles 127 à 129. Cette mesure peut être ordonnée par un juge d’instruction dans le cadre d’une enquête judiciaire pour garantir que la personne mise en cause soit présente pour les nécessités de l’enquête ou de la procédure pénale. L’interdiction de sortie est souvent prononcée dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
b- MOTIFS D’APPLICATION :
L’autorité judiciaire peut décider d’interdire à une personne de quitter le territoire lorsqu’elle est inculpée dans une affaire pénale grave (détournement de fonds, corruption, blanchiment d’argent, crimes économiques, etc.). Cette mesure vise à éviter la fuite de la personne mise en cause, en particulier lorsque le risque est élevé qu’elle tente de se soustraire à la justice.
Exemple :
Dans l’affaire Karim Wade et autres, l’ancien ministre a été soumis à une interdiction de sortie du territoire dans le cadre d’une procédure judiciaire pour enrichissement illicite. Cette interdiction visait à garantir qu’il ne fuirait pas le Sénégal avant son jugement. Malgré la décision de la CEDEAO de lever la mesure, le ministre de la Justice d’alors et son parquet de la CREI ont fait fi de cette décision rendu par la juridiction communautaire.
c- LEVEE DE LA MESURE D’INTERDICTION :
La levée de l’interdiction de sortie du territoire relève de la décision du juge qui a pris cette mesure. En général, elle est levée lorsque le risque de fuite n’existe plus ou que l’instruction est terminée, et la personne n’est plus nécessaire pour les audiences.
2. Interdiction de sortie du territoire par l’autorité administrative :
a- CADRE JURIDIQUE :
Le Code de la sécurité intérieure constitue la base légale des interdictions administratives de sortie du territoire. L’article 8 du code permet au ministère de l’Intérieur de prendre cette mesure pour des raisons liées à la sécurité publique, à l’ordre public ou à la prévention d’actes terroristes. Cette mesure est une décision de police administrative prise de manière préventive.
b- MOTIFS D’APPLICATION :
L’interdiction de sortie peut être prononcée à l’encontre de personnes soupçonnées d’être impliquées dans des activités menaçant la sécurité nationale, comme le terrorisme, le trafic de drogue, ou des actions susceptibles de perturber gravement l’ordre public. Par ailleurs, elle peut être prononcée contre des militants ou activistes impliqués dans des mouvements sociaux jugés dangereux pour la stabilité du pays.
Exemple :
Un ressortissant sénégalais, soupçonné d’avoir des liens avec des groupes djihadistes dans le Sahel, a été interdit de quitter le territoire par le ministère de l’Intérieur afin d’éviter qu’il ne se rende dans des zones de conflit pour participer à des activités terroristes.
C- LE RECOURS CONTRE CETTE MESURE D’INTERDICTION :
Les décisions d’interdiction de sortie du territoire par l’autorité administrative peuvent être contestées devant le juge administratif, généralement par le biais d’un recours pour excès de pouvoir. Le juge vérifie alors si la mesure est justifiée et proportionnée aux objectifs d’ordre public poursuivis.
3. Interdiction de sortie du territoire par les services douaniers :
a- LE CADRE JURIDIQUE :
Les services douaniers peuvent également jouer un rôle dans les interdictions de sortie du territoire, en vertu du Code des douanes sénégalais. Les autorités douanières sont chargées de surveiller les frontières et peuvent, dans certains cas, empêcher des personnes de quitter le pays dans le cadre de litiges douaniers.(article 36).
b- MOTIF D’APLICATION :
Une interdiction de sortie du territoire peut être prononcée par les services douaniers lorsque des infractions douanières graves sont suspectées, telles que la contrebande, la fraude douanière, ou des litiges liés au non-paiement des taxes douanières. Cette mesure est souvent utilisée dans les affaires de contrebande de produits interdits ou fortement taxés, tels que les stupéfiants, les armes ou certains produits de luxe.
Exemple :
Dans une affaire de contrebande de marchandises, les services douaniers ont interdit la sortie du territoire à un homme d’affaires sénégalais soupçonné d’avoir organisé un trafic de biens soumis à des droits de douane importants sans les avoir déclarés.
4. Interdiction de sortie du territoire par les autorités fiscales :
a- CADRE JURIDIQUE :
Le Code général des impôts prévoit des mesures coercitives pour garantir le recouvrement des créances fiscales, dont l’interdiction de sortie du territoire pour les contribuables redevables d’impôts. L’administration fiscale peut demander à l’autorité compétente (judiciaire ou administrative) de prononcer cette mesure pour forcer le recouvrement des sommes dues.
b) MOTIFS D’APPLICATION :
L’interdiction de sortie du territoire par les autorités fiscales est souvent appliquée à l’encontre des contribuables qui doivent des montants fiscaux importants à l’État et qui pourraient tenter de quitter le pays pour échapper au paiement. Cela peut inclure des personnes ou des entreprises ayant des arriérés d’impôts ou étant impliquées dans des fraudes fiscales.
Exemple :
Un homme d’affaires sénégalais, ayant accumulé d’importantes dettes fiscales impayées, s’est vu interdire de quitter le Sénégal pour garantir le recouvrement de ses arriérés d’impôts.
c) RECOURS ET NEGOCIATIONS :
Les contribuables concernés peuvent entamer des négociations avec les services fiscaux pour étaler ou régulariser leur situation fiscale, ce qui pourrait aboutir à la levée de l’interdiction de sortie du territoire. En outre, ils peuvent contester cette mesure devant les tribunaux compétents.
EN RESUME :
L’interdiction de sortie du territoire au Sénégal est une mesure exceptionnelle, justifiée par des motifs divers mais toujours encadrés par la loi. Qu’elle soit judiciaire ou administrative, cette décision doit répondre aux principes de nécessité et de proportionnalité, tout en respectant les droits fondamentaux du citoyen. Les causes qui motivent une telle interdiction vont des poursuites pénales à la lutte contre le terrorisme, en passant par la prévention des troubles à l’ordre public et la garantie de l’exécution des obligations fiscales. L’analyse des textes législatifs et de la jurisprudence montre que cette mesure est souvent utilisée pour protéger l’intérêt public, mais elle peut faire l’objet de recours devant les juridictions compétentes pour en contrôler la légalité et la proportionnalité.
Dr Ibrahima DIAGNE
Membre « JUSTICE SANS FRONTIERE »
Justice100f@gmail.com
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