L’HISTOIRE OUBLIÉE D’ABDOULAYE TALL

Ce petit-fils d’El Hadj Omar Tall, brillant élève parisien confronté au racisme institutionnel, incarne les contradictions d’une France coloniale dont les promesses d’égalité cachaient une réalité bien plus sombre

En 1890, lors de la conquête de Ségou par les forces coloniales françaises, un enfant de 12 ans change le cours de l’histoire personnelle et collective. Abdoulaye Tall, petit-fils du fondateur de l’Empire toucouleur El Hadj Omar Tall, est capturé par le colonel Archinard et emmené de force en France.

Cette pratique d’enlèvement n’était pas fortuite. Les autorités coloniales arrachaient systématiquement les fils de chefs vaincus pour les placer dans « l’école des otages », visant à effacer leur mémoire culturelle et à en faire de futurs dirigeants favorables à la France. Archinard avait une vision plus radicale : envoyer directement Abdoulaye en métropole pour qu’il devienne « suffisamment français pour ne jamais pouvoir prétendre à autre chose ».

Confié à une famille parisienne bourgeoise, Abdoulaye intègre le prestigieux lycée Janson de Sailly où il excelle académiquement. Mais son rêve d’égalité se brise lors d’un voyage au Sénégal en 1897. L’administration coloniale le traite avec mépris, le renvoyant constamment à son statut de « fils de vaincu ».

Dans ses lettres poignantes à Archinard, il dénonce avec une lucidité saisissante la violence coloniale : « ils ne sont bons qu’à créer des guerres… massacrer les pauvres noirs… torturer les enfants sans défense ».

Malgré sa réussite à l’examen d’entrée de Saint-Cyr, on lui fait comprendre qu’il ne pourra jamais servir dans l’armée française régulière, seulement dans la Légion étrangère. Abdoulaye tombe gravement malade et meurt à Paris en 1900, à seulement 20 ans.

Cette histoire, révélée par la journaliste Taina Tervonen, résonne étrangement avec les problématiques actuelles. Depuis plus de 60 ans, les élites africaines formées en France et les immigrants font face aux mêmes déceptions face aux promesses d’égalité non tenues.

L’histoire d’Abdoulaye Tall illustre comment la colonisation a créé des cycles de déracinement et de désillusion qui perdurent aujourd’hui, questionnant cette relation complexe d’amour-haine entre l’Afrique et son ancienne puissance coloniale.

seneplus

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