La route vers l’Europe : comment les femmes se prostituaient pour…

Agadez, au Niger, est un passage obligé pour les migrants qui veulent rallier l’Europe. Confrontés sur leur route à la prostitution, à l’exploitation, aux violences, ils sont de plus en plus nombreux à rebrousser chemin. franceinfo a recueilli leurs histoires.

Alors que le projet de loi asile et immigration est présenté mercredi 21 février en conseil des ministres, franceinfo est allé à la rencontre de ces migrants qui prennent le chemin du retour, ceux qui abandonnent le projet d’Europe.

La ville d’Agadez, au nord du Niger, est un passage obligé pour les migrants qui se rendent en Libye pour rallier l’Europe au péril de leur vie. On y croise aussi ceux qui rebroussent chemin. Ces derniers, souvent traumatisés, sont de plus en plus nombreux. Leurs récits sont édifiants.

« Nous allons de l’avant », chantent en cœur quatre migrants originaires du Liberia pour se donner du courage. Dans quelques jours, ils partiront pour l’épreuve déterminante du Sahara. Alors ils se tiennent en cercle par la main dans la pièce sombre de leur « ghetto » – ces foyers en terre ocre en périphérie d’Agadez où s’entassent les candidats à l’Europe – et ils demandent à Dieu de leur « accorder son aide et sa protection ». Dans le groupe, Prince tente de partir pour la seconde fois en Libye pour traverser la Méditerranée. Sa femme est morte à Misrata lors de la première tentative. Lui a subi des violences physiques. Il a aussi vu des migrants être vendus « comme des animaux ». Pourtant, il l’assure : « rien » ne l’arrêtera.

Elle, prie en silence. Les yeux fermés. Marvellous ne sera pas du voyage cette fois. Cette jeune femme de 20 ans ne souhaite qu’une chose : rentrer chez elle, au Nigeria. « C’est une longue histoire », dit-elle pudiquement. C’est en réalité une histoire effroyable qui commence à Benin City, cette ville du Nigeria, à 300 km de Lagos, d’où partent la majorité des migrants nigérians. Ils fuient la pauvreté dans un pays où 70% de la population survit avec moins de 2 dollars par jour. Parmi eux, il y a beaucoup de très jeunes filles, comme Marvellous, attirées par la promesse de trouver un travail en Europe.

Les jeunes femmes obligées de se prostituer

Marvellous a suivi un intermédiaire jusqu’en Libye. Mais à son arrivée elle découvre l’horreur : « Tout ce qui vous attend là-bas c’est la prostitution, raconte-t-elle. Vous vous retrouvez enfermée dans une maison, prise au piège. »

Des hommes défilent dans votre chambre et vous violent. Ils versent de l’argent que vous ne voyez jamais car il va directement dans la poche de la patronne.

Marvellous, 20 ans, Nigériane à franceinfo

« Si vous refusez de travailler, elle vous tabasse ou introduit du piment dans vos parties intimes, se souvient la jeune nigériane. Vous ne pouvez qu’obéir parce que vous êtes isolée au milieu de nulle part. Tous les jours, de nouvelles filles arrivent. »

Après l’aller, payer son retour

Marvellous est restée un an en Libye dans ces conditions. Elle a rapporté un million de nairas (la monnaie nigériane), soit environ 2 200 euros. Une fortune qui lui a permis d’acheter sa liberté et de poursuivre sa route vers l’Europe. Mais au moment de se lancer dans la traversée de la Méditerranée depuis la côte libyenne vers l’Italie, « il y avait des cadavres sur le rivage et, en les voyant, j’ai eu tellement peur que j’ai décidé de faire demi-tour », raconte-elle.

Cela fait deux mois que Marvellous attend donc dans cette pièce sombre, à Agadez, espérant rassembler 35 000 francs CFA, soit 50 euros, le prix de son billet d’autocar pour Lagos. Car elle en est certaine : « La route vers l’Europe, plus jamais ! »

Même s’il y a des problèmes économiques au Nigeria, cela reste mon pays. Je trouverais bien un moyen de survivre, par la grâce de Dieu.

Marvellous, 20 ans, Nigériane à franceinfo

Des récits atroces comme celui de Marvellous, le docteur Al Haj, du centre d’accueil et de transit de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Agadez, en entend tous les jours. Des Nigérians, des Guinéens ou encore des Sénégalais arrivent ici quotidiennement, espérant rentrer chez eux. Certains se présentent d’eux-mêmes dans ce foyer provisoire et d’autres y sont rapatriés par les équipes de l’OIM. Le médecin leur fait passer leur première visite médicale.

On a des cas de troubles psychiatriques, de traumatismes, de grossesse, de violences sexuelles, de Sida.

Dr Al Haj à franceinfo

« On a aussi des cas de tuberculose qui nous arrive du fait qu’ils ont séjourné dans des prisons du Maghreb où ils disent qu’ils n’ont eu droit qu’à une seule alimentation journalière », indique le médecin.

L’OIM a secouru 2 678 migrants dans le désert depuis août 2016. Parallèlement, elle mène des missions de sensibilisation auprès des communautés locales et informe les candidats au départ sur les risques du voyage, entre les passeurs, la prison, les violences physiques ou encore le travail forcé. En 2017, 8 198 migrants ont été enregistrés et accueillis dans le centre, dont 6 393 ont été assistés pour le retour volontaire dans leur pays.

« La honte » de revenir

Ici, les femmes sont minoritaires. Ce sont surtout des Nigérianes qui ont été victimes d’exploitation ou de traite sur la route migratoire. Les hommes, eux, représentent 95% des résidents du centre. Âgés de 18 à 30 ans pour la plupart, ils sont partis chercher du travail. « Psychologiquement, c’est très difficile, explique Lincoln Gaingar, responsable du centre. Ils sont abattus et ont un sentiment d’échec profond. Ce n’est qu’après quelques jours au centre qu’ils se disent : ‘Je ne suis pas allé en Europe, mais au moins je suis en vie’. »

Dans l’espace de vie du foyer, des hommes jouent aux cartes ou écoutent la radio couchés sur des matelas posés à même le sol. Certains acceptent de se confier. « Si j’avais su, je n’aurais pas pris la route pour aller en Europe parce que j’ai vécu, j’ai vu, explique Mamadou, un ancien menuisier sénégalais. J’en ai marre de faire le clandestin. » Il compte bien rentrer chez lui et reprendre sa vie d’avant : « On va reprendre notre métier, reprendre la formation et travailler. »

Mais comme beaucoup de ces candidats au retour, Mamadou est rongé par l’humiliation d’avoir déçu les espoirs de sa famille restée au Sénégal. Pour lui, cela compte davantage encore que le traitement inhumain subi en Libye. « Tu verses de l’argent, plus de trois fois, tu finis le bien de ta famille. J’ai honte ! », lâche-t-il.

Comment je peux retrouver ma famille, mes enfants, ma femme alors que j’ai perdu beaucoup d’argent ? De l’argent que j’ai gaspillé et que je n’ai pas passé en Europe.

Mamadou à franceinfo

Plus loin, Brahim, 20 ans, ressent la même amertume au moment de repartir à Conakry, en Guinée. « Je suis complètement découragé parce que j’ai échoué, confie-t-il. J’ai gaspillé mon argent. Aujourd’hui, je n’ai rien. Je souffre beaucoup. Même l’habit que je porte ici, si on ne me l’avait pas donné, je n’aurais rien. » Il y a quelques mois encore, Brahim se voyait évoluer dans le championnat de football italien. Son retour imminent comme petit vendeur de rue ne sera que de courte durée. Il n’a qu’une obsession : retenter l’aventure. « Je rêve d’aller en Occident, essayer encore. »

 

franceinfo

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