Sénégal : les mille et un défis pour un financement équitable de la santé

Un Sénégalais fait en moyenne 6 km pour atteindre un poste de santé, quatre fois plus (24 km) pour un centre de santé et plus de 8 fois (49 km) pour un hôpital (établissement public de santé). Ces chiffres renseignent sur les difficultés liées à l’accès aux soins dans presque tout le pays et l’effort qu’il faudra fournir en termes de financement. 

Les statistiques du ministère de la Santé indiquent que dans certaines zones rurales, il faut parcourir 70 à 100 km, pour voir un point de prestation de santé avec un personnel qualifié. Si vous y ajoutez le manque d’unités de soins comme la radiothérapie, obligeant des malades de cancer à aller se faire soigner à l’étranger, la défaillance du système devient plus criarde.

Malgré l’évolution significative du budget alloué à ce département depuis plus de cinq ans (de 123 milliards et demi en 2013 à 169 milliards  et demi en 2018), le secteur nécessite une « nouvelle dynamique de financement ».

Ce post de Pr Moustapha Ndiaye, neuro–pédiatre à l’hôpital de Fann de Dakar  sur son compte Facebook,  il y a quelques mois en est aussi une preuve. « (…) Nous sommes au maximum 12 à pratiquer. (…) Il y a de gros efforts à faire. Malheureusement, les Sénégalais ne sont pas très nombreux dans les diplômes d’études spécialisées (DES) (…) Je pense que l’Etat a sa carte à jouer. (…) A l’échelle d’un Etat, débourser quelques milliers de francs par an, pendant quatre ans pour former un spécialiste, ce n’est pas grand-chose.»

Dr Farba Lamine Sall, expert en économie de la santé au bureau Dakar de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) circonscrit les fonctions du financement de la santé à la mobilisation et à la  collecte des ressources (Etat, privés, utilisateurs des services de santé, aide au développement), à la mise en commun par une superposition de ces trois sources de collecte en créant une synergie de mobilisation de fonds et  à l’achat pour assurer les prestations  consultations, médicaments, hospitalisation, évacuation sanitaire, etc.)

Les ménages supportent l’essentiel des dépenses

Au Sénégal, les données de 2013 du ministère de la Santé révèlent que la santé n’est financée qu’à 38,61% par l’Etat, les collectivités locales  et les partenaires techniques et financiers (appui budgétaire)

Face à l’incapacité de l’Etat de prendre en charge convenablement la santé, les citoyens eux-mêmes supportent l’essentiel des coûts. Les chiffres de la Caisse nationale de sécurité (CNS) indiquent que les ménages ont supporté 55, 14% de dépenses de santé, en 2013.

Membre du comité d’éthique et scientifique au ministère de la Santé, Dr Samba Cor Sarr  indique  qu’ «en 2013, la part des ménages dans les dépenses totales est évaluée à 58%. Et près de 95% des dépenses des ménages sont constituées de paiements directs et moins de 5% des contributions dans les systèmes d’assurance maladie.

L’expert en économie de la santé du ministère ajoute que  depuis la généralisation de l’Initiative de Bamako dans les années 90, les ménages sont devenus une source de financement importante des formations sanitaires publiques.

Les comptes nationaux de la santé 2005 ont estimé à 21% la part de l’assistance étrangère dans les dépenses totales de santé dont 59% des fonds proviennent de la coopération bilatérale, 14% de la coopération multilatérale, 26% des ONG.

En 2013, la part de l’appui des partenaires techniques et financiers (PTF) dans les dépenses totales de santé a baissé à 14% dont 19% provenant de la coopération bilatérale, 80% de la coopération multilatérale. Les mêmes sources situent la contribution des collectivités locales à 1%.

Le secteur privé  n’a contribué qu’à 6,25% des dépenses. Entre 2005 et 2008, les dépenses de santé des entreprises sont passées de 9%  à 11%.  En 2013, ce niveau a connu une baisse pour se situer à 5% des dépenses totales de santé, révèlent les comptes nationaux de la santé.

L’insuffisance de la contribution de l’Etat et des privés fait qu’en 2013, seuls 20% des Sénégalais bénéficiaient d’une couverture maladie. Dans cette population bénéficiaire, 40 %  sont du régime des agents de l’Etat, 27% du régime volontaire mutualiste, 24% du régime des institutions de prévoyances maladie, 8% d’assurances privées et  1% de paiement des entreprises, mentionne un rapport de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD).

La couverture assurancielle, elle, ne couvre pas plus de 10% de la population, affirme Dr Pape Boubacar Yona Mané, enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, chercheur en économie de la santé au Consortium pour la recherche économique et social (CRES).

«Il  y a maintenant un foisonnement de mutuelles de santé mais qui restent toujours marginales par leur impact. On peut y ajouter les initiatives comme le Plan sésame  et la Couverture maladie universelle dont on sent l’engouement mais la contribution en dehors de celle de l’Etat reste encore très faible », se désole Dr Mané.

Les infrastructures engloutissent la santé

Pour booster le financement de la santé, les Etats africains avaient convenu d’une déclaration commune à Abuja en 2001,  engageant  chacun d’entre eux à consacrer au moins 15 % de leur budget  global à la santé.

Où  en sont-ils, 17 ans après, Dr Pape Yona Boubacar Mané du CRES indique que la moyenne des budgets des pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) alloués à la santé tourne autour de 9% en 2015.

Depuis la déclaration, seule la Gambie a atteint  les 15 %  (15,3 % en 2015 et parfois 18% même). Le Burkina Faso et le Niger ont atteint parfois les 15% ciblés.

Dr Farba Lamine Sall de l’OMS explique la faible croissance des budgets alloués à la santé en Afrique de l’Ouest par «les gros efforts faits » pour la construction de ponts, d’autoroutes, etc.

Selon lui, la croissance des budgets des ministères des Infrastructures est supérieure à la croissance du budget global des Etats. Autrement dit, la construction des infrastructures s’est faite au détriment des budgets de d’autres secteurs tels que la santé. Il devient alors  «quasi impossible pour tous les  Etats  de la sous- région d’atteindre les 15% », note Dr Sall.

D’ailleurs, Dr Mané ajoute que les 15 % ne suffisent pas pour couvrir les besoins en matière de santé des pays signataires. Par exemple, au Sénégal, «l’argent généré par les 8% de 2015 est plus important que celui des 12,4 de 2005. Ceci, du fait que le budget  global de l’Etat de 2015 est beaucoup plus important que celui de 2005 », explique le chercheur en économie de la santé.

Finalement c’est moins le taux par rapport au budget global que le montant en valeurs par rapport aux besoins du pays en matière de santé.

Tout comme quand on disait en 1978 « la santé pour tous à l’an 2000 ». L’objectif de la Déclaration d’Abuja est de stimuler les efforts  pour avancer même si on ne les atteint pas.  Parce que les infrastructures aussi participent au développement et par ricochet à l’amélioration du secteur de la santé elle-même.

Attente d’une aide extérieure

L’Etat à lui-seul ne peut pas assurer le financement du système de la santé. Parce que «financer la santé, c’est tout financer en fin de compte de l’eau potable pour tous, des infrastructures routières car on ne pourra jamais mettre partout un hôpital, un centre de santé ou même un poste de santé», explique Farba Lamine Sall.

Il ajoute que «le budget pour une mission de service public ne suffit jamais, parce que l’ambition grandit. Selon lui, c’est comme en éducation «l’éducation pour tous» qui conduit au «CEM et lycée pour tous » puis à « université pour tous », etc. » Chaque défi relevé impose d’autres défis, donc d’autres besoins.

En 2008,  l’aide extérieure dans la santé était de 23 milliards  de francs, contre 63 milliards de francs de l’Etat. «Cela veut dire que l’aide extérieure ne représente que le 1/3 de ce que l’Etat finance», affirme Dr Mané. Cette situation est la preuve que la dépendance du financement de la santé des ressources extérieures reste encore réelle.

Samba Cor Sarr du ministère de la Santé explique cela par l’absence de mécanismes d’exploration des ressources domestiques. «L’Etat avec l’appui budgétaire reste le principal bailleur pour les ressources d’investissement public de santé (construction, équipement, ressources humaines)

Pour sa part, le directeur d’Oasysgroup et spécialiste en financement de la santé, Ousmane Amadou Sy, reconnaît que les responsabilités de la défaillance dans le secteur de la santé sont partagées. Toutefois, il insiste sur le fait que « les Etats eux-mêmes sont toujours dans l’attente d’une aide extérieure, particulièrement sur le secteur de la sante.»

La question est de savoir pourquoi un Etat responsable accepterait que des acteurs étrangers lui suppléent sur des investissements d’intérêt national qui sont à sa portée, relève M. Sy.

Les opinions publiques et la situation socio-économique dans les pays traditionnellement donateurs sont de plus en plus réfractaires et sceptiques à l’aide classique au développement en faveur des pays comme le Sénégal.

«En fait, les bailleurs de fonds/partenaires techniques et financiers ont inondé de financements la lutte contre le VIH/SIDA, au début des années 90, sans entrevoir la nécessité de passer le relais aux budgets publics nationaux », fait-il observer.

Fléau du confort citadin

Le financement de la santé souffre également d’une mauvaise répartition des ressources entre les zones urbaines et rurales. On est encore loin de l’équité dans la répartition des ressources.

Les régions de Dakar, Thiès et Diourbel concentrent plus de la moitié (51,30%) des dépenses courantes de santé.  Les régions de Kédougou (1,01%), Sédhiou (2,92%) et Kaffrine (3,77%) bénéficient de la plus faible part des dépenses de santé. Ce tableau donne déjà une idée sur la disparité géographique  de l’offre.

Ousmane Amadou Sy qualifie cela de « fléau du confort citadin » qui se répand partout. Les meilleurs agents de santé, les meilleurs équipements et les infrastructures restent concentrés dans les pôles et centres urbains.

73% des spécialistes actuellement en service sont concentrés à Dakar. Par conséquent, la plus grande part des ressources financières disponibles y est engloutie. « Le profil des malades dans les hôpitaux et centres de santé urbains montre que  la majorité vient des quartiers pauvres des villes et/ou des villages du fin fond du Sénégal, parce qu’il n’y pas de prise en charge de leur problème de santé au niveau de leur lieu de résidence », selon le directeur d’Oasysgroup.

ouestaf

Les commentaires sont fermés.