Dialogue avec le Président sur la Gouvernance des revenus tirés des Hydrocarbures (Par Elimane H. KANE)

Monsieur le Président de la République, que la paix soit avec vous. J’en souhaite autant à l’ensemble du peuple sénégalais. Que la paix nous habite dans nos foyers, nos rues, nos lieux de travail, nos marchés, nos mosquées, nos églises, nos stades, dans tous nos lieux d’inscription sociale. La paix est fondamentale pour entamer un véritable dialogue, mais le dialogue est aussi un des leviers pour instaurer un climat de paix durable. Cela suppose donc que les bases de ce dialogue soient sincères et dépourvues de toute finalité tactique ou politicienne. Au-delà des réserves d’une fange d’acteurs de l’opposition partisane, c’est un devoir pour tout citoyen soucieux de l’avenir de notre nation de répondre à votre appel, en votre qualité de représentant légitime du peuple. En sus de tous les reproches que nous pouvons  faire sur vos choix et votre façon de conduire la gestion des affaires publiques à travers l’exercice du pouvoir exécutif et les différentes postures de représentations que vous prenez,  nous nous devons de saisir l’opportunité que vous facilitez ici pour prendre la parole, espérant qu’elle sera écoutée et entendue, pour action.

Vous avez interpellé le peuple que vous représentez selon les processus et mécanismes de notre démocratie. Vous avez donc enclenché une démarche qui retourne le pouvoir qui vous est délégué à ceux qui le détiennent véritablement. C’est-à-dire ce peuple qui pourra aussi décider dans quelques mois si vous devez continuer de le représenter ou pas !

Ce peuple nous dit notre constitution depuis mars 2016, est propriétaire des ressources naturelles qui font l’objet de votre présente sollicitation. La constitution de la République du Sénégal précise également les conditions et la finalité de la gouvernance de nos ressources. L’article 25-1 dispose : «Les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l’amélioration de ses conditions de vie. L’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence et de façon à générer une croissance économique, à promouvoir le bien- être de la population en général et à être écologiquement durables.  L’Etat et les collectivités territoriales ont l’obligation de veiller à la préservation du patrimoine foncier ». Le citoyen que nous sommes, est aussi interpellé par la constitution à l’article 25-3 qui dispose en son alinéa 4 que « Tout citoyen a le devoir de préserver les ressources naturelles et l’environnement du pays et d’œuvrer pour le développement durable au profit des générations présentes et futures ». Ce même article rappelle plus tôt  le   devoir du citoyen de défendre la patrie contre toute agression et de contribuer à la lutte contre la corruption et la concussion.

Fort de ces arguments juridiques et moraux, nous formulons les propositions suivantes dans l’unique but de contribuer à une gouvernance saine et profitable au maximum à la nation sénégalaise. Au-delà des 15 millions, autant que nous sommes présentement estimés par l’ANSD, notre perspective prend en compte les générations futures pour au moins deux générations, c’est-à-dire selon les estimations, les décisions prises aujourd’hui devront concernées plus de 50 millions de sénégalais d’ici 2068.

La responsabilité est donc lourde sur les décisions qui seront prises maintenant dans la gestion des ressources naturelles, particulièrement le pétrole et le gaz qui constituent des ressources hautement stratégiques au point de changer la face des états et l’avenir des peuples.

Vous avez donc l’opportunité de partager cette responsabilité avec votre peuple, en procédant à un élargissement de l’espace de transparence dans le processus de prise de décision depuis la définition de la politique sectorielle et la signature des contrats. Vous pourrez ainsi commettre vos juristes pour une opérationnalisation des nouvelles dispositions de la constitution, par la mise en place d’une instance dédiée à la veille sur l’intérêt public composée de façon paritaire de différents segments représentatifs du peuple (Gouvernement, Assemblée nationale représentée par tous les groupes parlementaires, CESE, Elus locaux des collectivités territoriales riveraines, associations de la société civile, secteur privé national). Il s’agit ainsi de redéfinir l’espace de Transparence et de légitimité du système de gouvernance du secteur.

Monsieur le Président, vous nous invitez à réfléchir avec vous  sur l’encadrement et la répartition des  revenus issus de l’exploitation du pétrole et du gaz. Cela suppose également d’évoquer des questions préalables relatives à d’autres niveaux de la chaine de valeurs, en amont. Car avant de répartir des revenus, il faut d’abord s’assurer des conditions de partage de production et d’optimisation des revenus générés. Avons-nous bien négocié les contrats au point de préserver les intérêts du Sénégal ? Les contrats signés sont-ils réguliers et profitables ? Le contrat de confiance avec le peuple est-il de qualité ? Ce questionnement nous amène Monsieur le président à vous interpeller sur au moins deux cas  ayant fait l’objet de préoccupations populaires. Il s’agit de l’affaire TIMIS pour laquelle le premier ministre avait donné rendez-vous pour une réponse officielle au rapport de l’ITIE qui nous a laissé sur notre faim. Ce même rapport insiste beaucoup sur les irrégularités de la presque totalité des contrats signés avec les compagnies pétrolières. En effet, nous demandons encore à comprendre comment une entreprise étrangère associée à votre propre frère s’est introduite dans le contrat pétrolier pour s’y retiré ensuite, avec une rente encore nébuleuse, estimable à la valeur commerciale de 90 %  des gisements de Saint-Louis Profond et Cayar Profond ? Il s’agit aussi des conditions précipitées qui ont abouti à l’octroi de deux gisements à TOTAL dont celui Ultra Deep Offshore (UDO) sur un périmètre exorbitant de 62.248 km2 couvrant l’étendue de la zone économique exclusive sénégalaise, avec des seuils du « cost limit » prohibitifs.

Nous vous demandons donc Monsieur le Président de définir un processus clair et planifié du dialogue, en commençant par une étape Vérité-Redevabilité-Confiance, avant d’entamer la suite. En attendant, je voudrais avant tout partager deux préoccupations qui de mon point de vue doivent être des considérations suspensives par rapport o la signature des décisions finales d’Investissements avec les consortia qui exploitent  les gisements de pétrole et de gaz. La première est de prendre le temps de s’assurer que le Gouvernement dispose des instruments et mécanismes de contrôle assez puissants pour suivre les obligations contractuelles, particulièrement au  niveau de la douane pour le contrôle de la production et au niveau des administrations financières pour le contrôle des opérations commerciales.

La seconde est d’opérer des reformes juridiques avec des sanctions draconiennes et de se doter de capacités humaines et techniques pour une administration fiscale capable de faire face aux stratégies d’optimisation fiscales des compagnies pétrolières et de leurs filiales pour parer à l’évasion fiscale très courante dans le secteur.

L’encadrement de la répartition des revenus générés par l’exploitation du pétrole et du gaz suppose d’abord l’optimisation des revenus à tous les paliers en amont et en aval. Ensuite, une traçabilité de toutes les opérations financières générées dans le secteur  avant de décider des options de redistribution et des mécanismes de répartition de ces revenus, dans la transparence.

L’optimisation suppose surtout une révision des dispositions fiscales vers un régime spécial du secteur qui nécessite des reformes du code général des impôts. Elle suppose également la révision de toutes les niches qui favorisent l’évasion fiscale notamment l’article 57 du code pétrolier qui favorise les transactions commerciales à l’étranger avec des comptes ouverts à l’étranger loin de nos services fiscaux. Egalement cette équation vous interpelle sur les conventions fiscales signées avec des pays étrangers dont ceux considérer comme des paradis fiscaux comme l’ile Maurice et le Luxemburg, entre autres (l’ONG OXFAM a établi une liste de 58 paradis fiscaux dans le monde consultable ici http://oxfamfrance.org/actualites/justice-fiscale/paradis-fiscal-quelle-definition-et-quels-pays)

Après une garantie de l’optimisation des revenus qui intègre les redevances, les bonus de signature, les taxes sur les  cessions de titres, et la réduction au stricte minimum des incitations fiscales, il serait judicieux de  définir un mécanisme de répartition des revenus sur la base de priorités identifiés avec les parties prenantes: fonds spéciaux, investissements consolidant la structure économique; dépenses sociales.

En définitive, quel que soit le mesures prises pour la définition d’une architecture de gestion des revenus, il demeure fondamentale de renforcer les exigences en matière de lutte contre la corruption, les conflits d’intérêts et autres pratiques frauduleuses courantes dans les sphères administratives. La gouvernance de ce secteur à haute intensité de flux financiers nécessite l’instauration d’un pacte d’intégrité qui engage les institutions et agents de l’Etat impliqués dans la gestion des ressources minérales et les citoyens qui doivent renforcer leurs capacités techniques pour un  contrôle citoyen pus pointu.

Pour finir, monsieur le Président, quel que soit le caractère asymétrique des rapports entre nos Etats à revenus faibles et inexpérimentés dans l’exploitation des ressources minérales et les compagnies pétrolières multinationales, il demeure que l’Etat demeure le seul pouvoir unilatéral souverain pour déterminer les règles du jeu. A cet effet, il vous est encore possible de solliciter la renégociation des contrats pétroliers irréguliers et ceux qui ne prennent pas en compte les intérêts nationaux de façon optimale. Ce qui devrait se faire avant de procéder à la signature d’une décision  finale d’Investissement.

 

Elimane H. KANE

Citoyen sénégalais

Elimaneh.kane@gmail.com

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