LE TRIANGLE DES INDIGNÉS DE MACKY SALL

Dégoûtés par les scandales, le contrôle des autorités politiques sur le pouvoir judiciaire, mais également par un système politique en déphasage avec les besoins de la population, ils comptent mener une lutte sans merci pour le changement.

La seconde alternance du Sénégal est marquée par une période tumultueuse dans l’histoire politique du Sénégal. Ainsi, l’avènement du président Macky Sall marque la fin d’une classe politique vieillissante et l’entrée en scène d’une nouvelle génération de leaders en quête d’une alternative nouvelle, tant dans la gestion des biens publics de l’Etat que dans le changement du système politique en vigueur. Ces jeunes leaders anti-système sont Ousmane Sonko, le juge Ibrahima Dème et le capitaine Mamadou Dièye.

Dégoûtés par les scandales de malversations financières, par le contrôle des autorités politiques sur le pouvoir judiciaire, mais également par un système politique en déphasage avec les besoins de la population, ces indignés du régime de Macky Sall comptent mener une lutte sans merci afin d’aboutir à un changement effectif dans le fonctionnement de l’Etat sénégalais.

A 42 ans, Ousmane Sonko, natif de Thiès veut incarner la nouvelle génération d’hommes politique qui prônent une gestion saine et transparente des affaires publiques. Né en 1974 d’une mère casamançaise et d’un père Baol-baol, Sonko a passé la majeure partie de sa jeunesse en Casamance.

En 1993 il obtient le bac et entame la formation en sciences juridique à l’UGB où il se spécialise en Droit public. « C’était un étudiant modèle, très engagé religieusement et dans les études. Il a très tôt intégré l’Association des élèves et étudiants musulmans du Sénégal (Aeems) où il était très actif. Il savait déjà partager ses idées avec pondération, certes, mais je dois dire qu’il va toujours jusqu’au bout, lorsqu’il s’agit d’atteindre ses objectifs», raconte Waly Diouf, un de ses camarde de promotion. En 1999 Ousmane Sonko réussi le concours de l’ENA et intègre la prestigieuse école où il est formé à la section des Impôts et domaines. En 2002 il occupe son premier poste au Centre des services fiscaux de Pikine, rapporte impact.sn, dans son édition du 18 aout 2016.

Inspecteur principal des impôts et domaines, c’est à ce poste qu’il s’est révélé au public. Choqué par des pratiques nébuleuses du gouvernement et des malversations financières, Sonko est alors sorti du mutisme légendaire des fonctionnaires de l’Etat, pour dénoncer la mauvaise gestion des fiscalités de l’Etat. Le haut-fonctionnaire a surtout dénoncé les contrats pétroliers auraient signés, selon lui,  en toute opacité et avec l’implication des personnes qui ne sont pas censées être mêlées à ce secteur.

«Le pétrole et le gaz ne doivent pas être l’affaire de deux ou trois personnes ou d’un groupuscule, mais l’affaire de tous les Sénégalais. Le président Macky Sall a une grande responsabilité dans des contrats pétroliers octroyés en violation totale du code pétrolier.  Le rapport produit par l’Inspection générale d’Etat est un rapport à charge contre l’entourage du président Macky Sall qui s’est immiscé dans la gestion du pétrole et du gaz sénégalais», dénonce Sonko face aux journalistes de dakaractu. Entré de plain-pied dans l’arène politique, le haut fonctionnaire excelle déjà dans le discours politique.  «Si demain, je suis président, je vais renégocier tous les contrats passés dans ce sens et qui ne profitent pas au peuple sénégalais, car ils sont bétonnés par des clauses qui assurent aux exploitants de tirer le maximum de ce qui devait être une aubaine pour le Sénégal pendant 45 ans », a-t-il promis lors de la présentation de son livre « Pétrole et Gaz au Sénégal: chronique d’une spoliation » en janvier 2018.

Ousmane Sonko engage donc un bras de fer avec le pouvoir en place sachant ce qu’il risquait. Convoqué maintes fois pour être entendu sur ses allégations, il n’a pas fléchi sur ses positions. Les autorités sous prétexte de la violation de son devoir de réserve en tant que haut fonctionnaire le traque.

C’est ainsi qu’en 2016, il est radié de l’inspection des impôts et domaine « pour manquement au devoir de réserve», après avoir dénoncé des malversations financières dans la fiscalité et ou budgets de l’Etat du Sénégal, rappelle le magazine jeuneafrique dans sa parution du 19 février 2018.

« Contrairement à ce qui a été dit, j’ai été radié pour indiscrétion professionnelle. On m’a mis hors-jeu parce que j’ai fait des révélations sur les fraudes fiscales à l’Assemblée nationale et sur le pétrole avec le petit frère du président et le ministre Aly Ngouille Ndiaye avec leurs magouilles », a-t-il lors d’une interview accordée à dakaractu dans son édition du 16 juillet 2017.

Depuis sa radiation Ousmane Sonko est devenu l’un des plus farouches opposants du régime de Macky Sall et de son gouvernement. Son cheval de bataille est la lutte contre la corruption et la transparence dans l’attribution des marchés pétroliers. L’homme apparait comme une pierre dans la chaussure du régime notamment à l’Assemblée nationale. Puisqu’il sera élu député. D’ailleurs le chroniqueur Amadou Tidiane Wone suite à son élection ironisait en disant «le gouvernement a licencié Ousmane Sonko et le peuple l’a embauché». Sonko justifie sa démarche par  le manque de scrupule des dirigeants qui s’enrichissent sur le dos des sénégalais avec la complicité de l’administration.

Un combat dans lequel il est soutenu par Thierno Alassane Sall, ex-ministre de l’Energie démissionnaire du gouvernement de Macky Sall, en mai 2017 pour avoir refusé de signer un contrat « désavantageux pour le Sénégal » avec la multinationale Total. «Sonko refuse toute compromission. Il faudra sûrement compter sur lui dans les années à venir», témoigne dans jeuneafrique, l’ex-premier ministre Abdoul Mbaye. D’autres personnes qui connaissent l’ancien inspecteur des impôts et domaines parlent d’un homme de valeurs. «Il a toujours dit qu’il se battrait pour son pays et montrer que l’on peut faire de la politique sans se compromettre, exister sans perdre les valeurs qui ont habité de grands hommes, parfaits exemples dans une société malade de ses hommes politiques», rapporte un de ses proches.

Sonko gène assurément le régime du président Macky Sall par la virulence de son discours et le courage de ses opinions. En lançant son parti Pastef c’est pour face au régime en place. Mais la rébellion contre le système de gouvernance de Macky Sall est loin de provenir seulement des Impôts et Domaine Sonko. L’indignation a grippé aussi l’institution judicaire. Depuis des années les leaders d’opinions dans le champ politique et même du pouvoir judiciaire ont toujours dénoncé le manque d’indépendance de la justice sans aller loin.  Ainsi, il a fallu qu’un jeune juge qui ne pouvait supporter l’instrumentalisation du Conseil supérieur de la magistrature, démissionne dudit Conseil pour attirer l’attention et avertir quant à la gravité de la situation politique et judiciaire du Sénégal. Il s’agit  du  juge Ibrahima Dème.

Né en 1975 dans la région de Thiès, le juge Dème a créé la grande surprise, en prenant les devants et en dénonçant d’une manière symbolique, la subordination du Conseil supérieur de la magistrature, au chef de l’Etat. Fraîchement sorti de la faculté de droit de l’Ucad, Dème réussit le concours de l’ENA et devient à 23 ans commissaire aux enquêtes économiques. Un cursus qu’il finit par abandonner pour intégrer le Centre de formation judiciaire (CFJ) et devient magistrat à 29 ans. Au terme de sa formation, il occupe son premier poste de greffier au Tribunal de Dakar, ensuite à Thiès et à Saint-Louis, relate seninfotv, dans sa publication du 27 mars 2018.

«Je démissionne d’une magistrature qui a démissionné»

Ibrahima Dème a la réputation d’être un homme droit dans ses bottes qui voue un culte à l’exercice de la justice et de l’équité, confient certains de ses amis. Ainsi, pouvait-on lire dans sa lettre de démission « …la plus grave crise qui frappe actuellement notre société est une crise morale. Nos valeurs cardinales de dignité, d’honneur, de probité et de loyauté sont presque abandonnées au détriment du reniement, du non-respect de la parole donnée, de la trahison, du mensonge etc. qui sont cultivés par les plus hautes autorités et ce, dans la plus grande indifférence », écrit-il.

Sa réputation d’homme intransigeant lui a valu d’être affecté comme parquetier alors qu’il était juge du siège jusqu’en 2006, confie teranganews. La même source rappelle que Dème se serait attaqué lors d’une assemblée générale de l’Union des magistrats du Sénégal, (UMS), à la mal gouvernance des budgets par les chefs de ladite institution. Ainsi Ibrahima Dème représente un nouveau type de magistrat qui prône plus le devoir de servir que de se servir.

Les raisons de sa démission sont expliquées  dans sa déclaration du 26 mars 2018, «…la magistrature est de plus en plus fragilisée, voire malmenée de l’intérieur comme de l’extérieur. Il en est résulté une crise sans précédent de la justice qui a perdu sa crédibilité et son autorité. Aujourd’hui, elle ne joue plus son rôle de gardienne des libertés individuelles, de régulateur social et d’équilibre des pouvoirs. Je démissionne d’une magistrature qui a démissionné. Cependant, je ne capitule point, car je resterai indéfectiblement attaché au combat pour l’indépendance de la justice, indispensable pour la survie de notre nation et de notre démocratie », dit-il.

Bientôt 60 ans d’indépendance, le Sénégal n’a toujours pas su surmonter les défis de développement sous-tendus par une croissance économique soutenu et durable ; mais également par l’amélioration du cadre et du niveau de vie des populations. Sur ce, le constat fait par le juge Déme est que « les sénégalais sont fatigués. En effet, aucun secteur de l’économie nationale n’est actuellement épargné par la précarité. Les sénégalais sont écrasés par le coût élevé de la vie, le chômage chronique et sont obligés de subir l’insécurité, l’indiscipline, la corruption et l’insalubrité. Toutefois, la plus grave crise qui frappe actuellement notre société est une crise morale. Nos valeurs cardinales de dignité, d’honneur, de probité et de loyauté sont presque abandonnées au détriment du reniement, du non-respect de la parole donnée, de la trahison, du mensonge etc. qui sont cultivés par les plus hautes autorités et ce, dans la plus grande indifférence », s’indigne Ibrahima Déme.

De l’avis du juge Dème, les maux du pays de la teranga ne peuvent être guéris que par un changement de système, qui de plus est resté l’apanage d’une même élite politique, des décennies durant. «Il faudra le clamer fort, la décadence de notre société est certes la responsabilité d’une même classe politique qui nous dirige depuis des décennies, mais c’est aussi et surtout notre responsabilité d’avoir toujours laissé faire… Nous sommes à la croisée des chemins. Par conséquent, toutes les forces vives de la nation doivent sortir de leur résignation, de leur indifférence par rapport à la grave situation de notre pays… », a-t- déclaré.

Le Sénégal émergent tant chanté par le président Macky Sall ne semble pas être à la hauteur pour résoudre le problème du Sénégal, dit-il. De son point de vue, l’émergence dont a besoin le Sénégal, est celle des consciences. Un changement qui sera sous-tendu par la reconfiguration de la classe politique actuelle et d’un changement de système.

Ainsi, « une nouvelle mentalité doit émerger. A vrai dire, la seule émergence qui vaille aujourd’hui, c’est l’émergence d’une nouvelle citoyenneté, l’émergence d’un patriotisme nouveau, l’émergence d’une nouvelle gouvernance, seules capables de vaincre le statu quo et de porter un développement durable et harmonieux », suggère-t-il dans sa lettre de post-démission.

L’entrée en scène d’un homme de tenue

Le recours à une nouvelle classe politique au Sénégal est également le combat porté d’une certaine manière par un jeune officier démissionnaire de l’armée sénégalaise, le capitaine Mamadou Dièye du 25e Bataillon de reconnaissance et d’appui. Agé de 35 ans, le capitaine Mamadou Dièye a fait en 2006 l’Ecole militaire Saint-Cyr, après une année passée au Département d’anglais de l’université Gaston Berger de Saint-Louis et deux années au Département d’Etudes de langues étrangères à Toulouse de 2004 à 2006.

Entre 2008 et 2010, il se spécialise à la cavalerie et rentre au Sénégal où il occupe différents postes de commandement dans l’armée sénégalaise. «De 2010 à 2017, j’ai occupé différentes fonctions, de chef de section au commandant. Donc, c’est en 2017, de retour d’une mission des Nations Unies au Soudan, que j’ai démissionné », rappelle le désormais ex-capitaine de l’armée sénégalaise, Mamadou Dièye lors d’un entretien accordé au journal Le Quotidien du 14 mai 2018.

«Quand je suis arrivé, j’ai mis du temps pour apprendre parce qu’étant formé à l’étranger, il fallait que je découvre l’Armée sénégalaise. Une fois à l’intérieur, j’ai commencé à saisir les réalités de celle-ci qui n’ont rien à voir avec ce que le métier stipule… à l’intérieur, il se passe des choses peu catholiques. Très certainement, c’est ce qui inquiète les autorités, mais je ne vais pas en parler », assure-t-il.

Ainsi, du fait de pratiques contraires à ses convictions, le capitaine Diéye ne se sent plus dans son élément dans l’armée sénégalaise. Il utilise alors les recours, voies et moyens légaux pour se délier de son engagement vis-à-vis de la grande muette…mais sans succès.

« J’ai soumis deux demandes officielles que mes chefs ont rejetées. Pour quel motif ? Je ne sais pas. J’ai introduit une 3ème demande jusqu’au ministère des Forces armées qui a signé et le papier est à la Présidence, à l’état-major particulier du président de la République…Et quand je suis entré en politique, ils ont fait disparaître tous mes dossiers parce qu’ils craignent que je révèle des secrets », dit-il.

Sans attendre le délibéré de la hiérarchie, le capitaine déclare sa démission et annonce son entrée en politique. Sa vision de la politique est fondée sur une refonte totale du système sénégalais.

De son point de vue, seul un changement de paradigme politique peut mettre le Sénégal sur la voie de l’émergence. « Je pense qu’aujourd’hui, il faut plus que des politiciens pour résoudre les problèmes qui sont inhérents à ce système. On nous a imposé un système. Et pour le combattre, on n’a pas besoin de tirer sur qui que ce soit…il y a beaucoup de phénomènes dans la société sénégalaise : la pauvreté, le chômage des jeunes et beaucoup de difficultés. Le problème, ce n’est pas un projet dans lequel on parle d’embaucher les jeunes ou de résoudre quoi que ce soit. L’objectif, c’est d’abord de créer un fondement qui va permettre à ce pays de décoller », annonce-t-il dans Le Quotidien.

Le vendredi 11 mai 2018, il est arrêté alors qu’il allait démarrer  un entretien avec dakaractu. Il est transféré le samedi au camp militaire de Bargny, où il est gardé à vue. « Jusqu’à présent, les autorités ne peuvent pas me dire clairement pourquoi je suis détenu ici, en se basant sur le règlement militaire. Ils disent que j’ai déserté. Mais celui qui a déserté, c’est celui qui n’a soumis aucune demande officielle. Or, j’ai soumis trois demandes. Et le règlement militaire dit que seule l’autorité ayant le droit de nomination en l’occurrence, le président de la République peut bloquer cette demande », a-t-il expliqué à l’As, dans sa parution du 18 mai 2018 ; avant d’ajouter, « je demande à tous ceux qui sont conscients du combat que je mène de se soulever, qu’ils soient ou non sous les couleurs ».

Après quelques jours de garde à vue, il est traduit devant le conseil de discipline qui finit par le radier des cadres d’active de l’armée. Ainsi,  le mercredi 23 mai 2018, il est libéré en tant que Mamadou Diéye. Cependant, il est susceptible d’être poursuivi par les juridictions ordinaires à formation spéciale pour « désertion à lintérieur en temps de paix », selon l’article 17 de la loi 94/44 portant code de justice militaire et des textes réglementaires subséquents, a écrit dakaractu dans sa parution du 23 mai 2018.

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