Vincent Bolloré, Ce « boa » qui avale des sociétés et amasse des plus-values

Il faut toujours dire d’où l’on parle. Pas par arrogance ni impudeur mais par honnêteté. Nous sommes ce que l’on appelle, non sans un pléonasme, des journalistes d’investigation. Depuis plus de vingt ans, curieux et passionnés, nous avons arpenté la planète, fréquenté des terrains de guerre, exploré le champ politique et questionné le monde économique pour des journaux, la radio, des sites d’information et la télévision. Nous aimons comprendre ce que l’on voudrait nous cacher, nous considérons, avec un poil d’obsession parfois, que notre mission consiste à informer le grand public en rendant accessibles à toutes et tous des informations qui ne le sont pas forcément. Mission ? Le mot peut sembler grandiloquent, mais il est juste, disant toute la dimension citoyenne de notre métier. Sans information libre et vérifiée, la démocratie est incomplète. C’est notre conviction. Autant l’avouer tout de suite, avant que Vincent Bolloré ne s’intéresse à nous en mai 2015 nous ne nous étions jamais particulièrement intéressés à lui. La fascinante success story du milliardaire breton ? Nous en avions entendu parler, comme tout le monde, dans les années 1990 lorsque, même à gauche, la presse tressait des louanges au « Petit Prince du cash-flow », l’un des nombreux surnoms qui lui collent à la peau depuis trente ans. Mais d’autres sujets nous semblaient plus importants. C’était avant que nous éprouvions au plus près la puissance et la menace de ce « boa » des affaires. Boa, l’analogie vous semble audacieuse ? Alors plongez-vous dans ce portrait de l’industriel écrit en 19991. Interrogé par une journaliste de Libération dans son bureau, Vincent Bolloré s’approche d’une bibliothèque et sort d’une étagère « une drôle de photo »représentant un boa en train d’avaler un corps ensanglanté. « C’est la réalité, explique-t-il, cet homme a eu le malheur de s’endormir dans la forêt, il s’est fait bouffer… » Vincent Bolloré avale des sociétés et amasse des plus-values. C’est sa réalité. À soixante-six ans, avec 7,7 milliards d’euros, l’industriel est aujourd’hui la douzième fortune de France 2. Il règne sur un empire qui pèse plus de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires 3, déployé sur plusieurs continents. Les entreprises qu’il dirige, directement ou indirectement, gèrent des ports en Afrique, produisent de l’huile de palme, fabriquent des batteries électriques, contrôlent de nombreuses chaînes de télévision en France, en Pologne et au Vietnam, une banque et une société de téléphonie mobile en Italie. Vincent Bolloré est sans aucun doute l’une des plus belles réussites européennes dans le milieu des affaires de ces quarante dernières années. Il s’intéresse à la presse ? Comment le lui reprocher ? Les Bouygues, Lagardère, Pinault, Arnault et autre Dassault ont tous cédé un jour à la tentation de l’influence. Un journal, une radio, une chaîne de télévision, des sites Internet ? Pourquoi choisir ? Vincent Bolloré, lui, a gobé Vivendi, un groupe de médias tout entier, comme un boa : télé, musique, jeux vidéo, cinéma. Tout. Le boa n’étouffe pas. Il coupe la circulation sanguine de ses proies. Quelques secondes cachées dans ses replis et c’est la mort assurée. Les journalistes que nous sommes ont vite ressenti cette pression, lorsque les anneaux de l’animal se sont enroulés, ont serré, puis se sont refermés. C’était en mai 2015. Une de nos enquêtes, sur le Crédit Mutuel-CIC4, déplaisait au nouveau seigneur de Canal + et il allait nous couper l’oxygène. Fallait-il y voir un présage ? Ce que nous ne savions pas alors, c’est que nous ne serions que les premières cibles d’une longue liste qui irait, quelques mois plus tard, jusqu’au démantèlement d’une bonne partie de la rédaction d’iTélé, la chaîne d’information en continu du groupe Canal +, aujourd’hui rebaptisée CNews. Bien sûr nous avons survécu à l’étreinte mortelle de la censure. Mais, passé l’effet de sidération, nous avons décidé de nous intéresser à « notre prédateur ». Pas pour régler des comptes ni instruire un procès. Cela n’aurait aucun sens. Mais pour comprendre. Comprendre les motivations de cet industriel français entré dans nos vies professionnelles par effraction, au mépris, croyons-nous, de certaines règles éthiques et démocratiques. Comprendre qui est véritablement Vincent Bolloré. Ses méthodes, ses réseaux, ses ambitions. Enquêter sur cet homme très puissant n’est pas une mince affaire. Au cours de la préparation de ce livre, certains de ses proches nous le décriront avec un brin d’humour, comme un Louis XIV en son palais, détenteur d’un pouvoir absolu à défaut d’être divin. Face à ce géant des affaires, nous n’avions d’autres armes que notre force de travail et la conviction de l’intérêt public de notre enquête. Avant nous, d’autres journalistes s’y sont frottés. Leurs travaux furent une source d’inspiration et une base de départ indispensable pour partir explorer cet empire au territoire si vaste. Pour mener à bien cette expédition, nous avons bénéficié de l’aide discrète mais efficace de consœurs et confrères ainsi que d’autres témoins clés qui nous ont aidés à approcher des sources, obtenir des documents, recueillir anecdotes, récits ou éléments de preuve. Sans eux, cet ouvrage n’existerait pas. Qu’ils en soient ici toutes et tous remerciés. Dans cette enquête, nous n’aurons finalement qu’un seul regret : Vincent Bolloré a refusé de nous rencontrer. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Durant plusieurs mois, nous l’avons sollicité directement ou à travers des proches. Malheureusement, le « boa » n’a jamais souhaité nous répondre. Enfin si… mais à sa manière. A suivre…..

Extrait du brûlot(Tout-Puissant Vincent) de Nicolas Vescovacci et Jean Pierre Canet 

 

Afriquemidi

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