Sénégal : des infrastructures tous azimuts, des complaintes aussi!
Aéroport international Blaise Diagne qui vient de célébrer son premier anniversaire, une autoroute sur 112 km inauguré le 20 décembre 2018, le Train Express Régional (TER) appelé à faire, dans une première phase, le trajet de 59 km qui sépare le nouvel aéroport de la capitale sénégalaise et dont le premier train (parmi un lot de quinze) vient d’être réceptionné : les projets d’infrastructures de grande envergure ne manquent pas au Sénégal. Mais avec ces grandes réalisations, viennent aussi les complaintes, sur l’opportunité pour les uns, sur les impacts pour les autres.
«Il reste encore des familles qui attendent leurs chèques », confie, Macodou Fall, le coordonnateur national des « impactés » du Train Express Régional (TER). M. Fall s’entretenait avec Ouestaf News, au lendemain de la réception par le premier ministre le 18 novembre 2018 du premier des quinze trains devant constituer le TER.
Pour le collectif représenté par M. Fall, une question cruciale reste à solder dans ce projet : l’achèvement du processus d’indemnisation.
Pour le gouvernement sénégalais, ces projets doivent contribuer à la modernisation, au renforcement et à la sécurisation du transport urbain et inter-urbain, selon un document du ministère des Infrastructures des Transports terrestres et du Désenclavement (MITTD).
Selon M. Fall, les démolitions sur tout le tracé du TER concernent 3000 maisons (regroupant 25.000 personnes). L’essentiel des familles dites « impactées » se trouvent à Thiaroye, Pikine et Rufisque, dans la périphérie de Dakar.
«Si beaucoup de familles ont touché leur argent, d’autres ont eu la désagréable surprise de se voir proposer par l’Apix (Agence nationale pour la promotion des investissements et des grands Travaux) un montant inférieur à celui initialement retenu lors (des négociations), évidemment c’est une situation inacceptable », souligne M. Fall.
Selon le président Macky Sall, une somme de 40 milliards FCFA a été consacrée à l’indemnisation des impactés.
«Nous attendons nos chèques pour partir, vous voyez toutes ces maisons détruites favorisent l’insécurité», se plaint de son côté Abou Sow, un habitant de Thiaroye, qui tout en parlant désigne de son index deux maisons récemment effacées par les Bulldozers de l’Apix.
A Thiaroye, ce spectacle de maisons éventrées aux briques croulants font désormais partie du décor.
Dans le cadre de ce travail le courrier adressé par Ouestaf News à l’Apix (qui pilote le projet du TER) pour solliciter des éclairages sur le « retard » du processus d’indemnisations des impactés est resté sans réponse, en dépit de notre insistance répétée auprès de Johnson Mbengue, le chef du bureau de la communication de cette agence.
Dans un discours prononcé lors du lancement du projet le 14 décembre 2016, le président Macky Sall avait promis l’inauguration de TER en janvier 2019.
Mais dans ce projet tout ou presque est sujet à discorde. Plusieurs montants avaient été annoncés sur le coût réel de l’infrastructure devant relier dans un premier temps Dakar à Diamniadio, soit 36 Km, avant d’être étendu jusqu’au nouvel aéroport de Diass)
Le MITTD dans ses documents mentionne le montant de 558 milliards FCFA comme le coût réel de ce premier tronçon, tandis que le chiffre de 1200 milliards FCFA, avancé par Ousmane Sonko, opposant et candidat à l’élection présidentielle de février 2019 a beaucoup circulé dans la presse sénégalaise.
A côté de ce train express, existe aussi le projet de Bus Rapid Transit (BRT) appelé aussi Bus à Haut Niveau de Service (BHNS), qui va relier Guédiawaye, lointaine banlieue dakaroise, et le centre-ville de la capitale.
Vu par le gouvernement comme une « réponse majeure » aux problèmes de mobilité qui frappent l’agglomération de Dakar, le BRT va nécessiter, selon des chiffres figurant sur le site web du Conseil Exécutif des Transports Urbains de Dakar (CETUD), un investissement de 286 milliards FCFA dont une participation de 15 milliards du gouvernement sénégalais.
Un doublon ?
Cependant, l’utilité du TER ne convainc pas tout le monde. « Dès lors que vous avez une autoroute à péage qui dessert Diamniadio, vous n’avez pas besoin d’un TER », affirme l’économiste Meissa Babou, dans un entretien à Ouestaf News. Pour cet enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop, il se pose un problème de cohérence et de « rationalisation des dépenses » dans le domaine des Transports.
Au niveau de la Banque mondiale si l’on salue la pertinence du BRT, des inquiétudes sont nourries à propos du TER. La directrice des opérations de la Banque à, dès 2017, dit craindre que le TER ne soit pas rentable et qu’il entraîne des investissements supplémentaires.
A l’inverse, Cheikh Gaye, expert en Transport urbain et aussi membre de la coalition au pouvoir (Benno Bokk Yakaar), juge les critiques sur le TER pas « fondées ».
«A cause de la poussée démographique, tous les pays sont en train de réfléchir sur le défi que pose le transport de masse, si ailleurs c’est le tramway ou encore le métro par exemple, le Sénégal a choisi un TER, qui répond le plus à ses besoins », souligne-t-il.
Le BRT et le TER cumulés vont permettre le transport de 415.000 passagers par jour, selon le MITTD. Mais ceci sera-t-il suffisant ?
Dans ses statistiques, le CETUD mentionne que sept millions de déplacements sont notés par jour dans la ville de Dakar, dont la plupart se font à pied. Parmi les raisons avancés par le gouvernement pour justifier la mise en place du TER figure l’argument démographique. La capitale sénégalaise atteindra 5 millions d’habitants en 2030, selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD).
Les routes aussi…
La « révolution » du transport s’accompagne aussi d’une série de construction d’infrastructures routières à travers le Sénégal.
Le 21 décembre 2018, le président Macky Sall a procédé à l‘inauguration de l’autoroute à péage reliant Thiès (ouest) à Touba (centre) soit 115 kilomètres.
En dépit de son inauguration en grande pompe, cette autoroute à péage a occasionné le mécontentement de certaines populations paysannes des régions de Thiès et de Diourbel, qui ont à plusieurs reprises manifesté pour dénoncer la destruction de leurs champs et réclamé des indemnisations à l’Etat.
L’infrastructure d’un coût de 415 milliards FCFA est financée par la Chine. Elle « constitue la colonne vertébrale de l’ossature qui préfigure un développement polycentrique », a soutenu le président Macky Sall.
Cette nouvelle autoroute nommée Ila Touba est qualifiée d’investissement « politique » par Meissa Babou. Un clin d’œil sans doute au poids électoral que représente la ville de Touba (centre du Sénégal), fief de l’une des confréries musulmanes les plus influentes du pays.Pour l’économiste, l’autoroute Ila Touba n’est pas opportune.
« De Thiès à Touba, vous avez un relief plat et une circulation fluide, la construction d’une autoroute n’est vraiment pas une priorité sur cet axe », avance-t-il. A l’instar de Meissa Babou, beaucoup d’adversaires du régime (mais aussi de simples citoyens) considèrent que les milliards dépensés sur le TER et l’autoroute Ila Touba auraient pu servir à d’autres priorités, notamment dans les hôpitaux et l’éducation.
Faisant peu cas de ces critiques, le gouvernement quant à lui continue sur sa lancée : parmi les projets futurs figurent l’autoroute Mbour (ouest)-Kaolack (centre), l’autoroute reliant le nouvel aéroport et les villes de Thiès et Mbour. Tous des projets actuellement en négociation avec la Chine, a révélé Aubin Sagna, secrétaire général du MITTD, cité par l’APS.
Un problème socio-environnemental ?
Retour au cœur de Dakar, à Colobane, ce vieux quartier non loin du centre-ville, doit abriter l’une des 14 stations du TER. Ici, les volutes de poussière qui s’échappent des travaux emplissent le ciel. Niché sous un parapluie ocre, Makhtar Diouf est un commerçant et les travaux qui se déroulent en face ne manquent pas d’impact sur son commerce de friperie.
«Les travaux rendent difficile la circulation, les piétons sont obligés de contourner et cela se ressent sur les affaires», déclare le commerçant.
Sous le soleil, des ouvriers en gilets orange s’activent au milieu d’un amas de ferrailles et de béton. La construction de cette station est venue chambouler tout un monde qui tournait autour de l’informel : mécaniciens, marchands, gargotiers….
Ousmane Fall, un mécanicien pense vivre ses derniers jours dans les parages. Avant l’ouverture des travaux il a dû trouver un refuge provisoire à une centaine de mètres. Pour lui, « les travaux avancent rapidement, je crois aussi que quand tout sera fini, les alentours vont être aménagés et on sera obligés de partir ».
Le TER qui va fonctionner selon un format hybride combinant diesel et électricité, ne manquera pas aussi de poser des problèmes environnementaux, dans une capitale sénégalaise déjà fortement touchée par la pollution.
Dakar est exposée à la pollution de l’air, en partie à cause de son parc automobile (300.000 voitures en circulation, selon la mairie de Dakar) et de l’âge avancé de nombres de ces véhicules. L’autre source de pollution est constituée par les particules de poussières, selon les explications du centre de gestion de la qualité de l’air, un organe du ministère de l’Environnement.
Le taux moyen annuel de particules fines relevé à Dakar est de 146 microgrammes de particules fines par mètre cube alors que le seuil fixé est de 20 microgrammes, selon le rapport 2018 de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur la pollution de l’air
Enfin, l’impact du TER sur la faune est aussi relevé dans l’étude d’impact environnementale du projet consulté sur le site web de la Banque africaine de développement (BAD), un des bailleurs du projet.
Considéré comme un poumon vert pour la région de Dakar, la forêt classée de Mbao sera affectée par les travaux, précise cette étude d’impact qui préconise aussi des « reboisements compensatoires».
Le TER et le BRT ne sont pas tout : Dakar et sa région connaissent beaucoup d’autres projets en cours de réalisation dont les travaux d’extension de la Voie de Dégagement Nord (VDN), vers la banlieue, dans le but de rendre fluide la circulation automobile. Ici aussi, il est attendu que cette nouvelle VDN améliore sensiblement la circulation. Mais à quel prix ?
ouestaf
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