ACCÈS AUX PROFESSIONS LIBÉRALES: La guerre dans le Notariat
L’accès à la profession de notaire est un véritable chemin de croix au Sénégal. De l’indépendance à nos jours, le concours n’a été organisé qu’une seule fois, sous la direction de l’ancien ministre de la Justice, Aminata Touré, qui avait ainsi mis fin à une entente illicite. Seulement, les 22 notaires stagiaires issus de ce concours ne disposent toujours pas de charge. Ils se heurtent à l’hostilité des barons, jaloux de leurs privilèges.
C’est une ‘’Chambre’’ fermée à double tour. Comme dans les sociétés secrètes, ceux qui sont à l’intérieur ne veulent rien laisser filtrer. Ils veulent manger, tout seuls, le beurre et l’argent du beurre. Ainsi est le monde des notaires. Rien ne suinte. Les problèmes, d’habitude, sont gérés dans la plus grande discré- tion. Moins on en parle en public, mieux ça vaut. Jusqu’au jour où ‘’l’in- justice’’ prend des proportions ‘’inad- missibles’’. Les victimes ruent alors dans les brancards.
C’est ce qui est arrivé aux ‘’ex- notaires stagiaires’’. Ils n’en peuvent plus d’endurer leur ‘’calvaire’’. En silence ! Ils ont décidé, ce samedi, de sortir des bureaux douillets dans lesquels ils étaient confinés depuis la fin de leur stage obligatoire, en fin 2016. En principe, l’Etat devait créer de nouvelles charges pour les inté- grer. Malheureusement pour eux, rien ne bouge du côté de la chancel- lerie. Après plusieurs démarches infructueuses, ils ont décidé de por- ter presse. La mine grave, le ton ferme, El Hadj Mansour Diop, un des ‘’rares’’ Sénégalais à avoir travaillé à la Cour internationale de justice, regrette avec amertume : ‘’Nous avons tout sacrifié pour épouser cette profession. On ne peut, sur la base d’aucun fondement légal, nous refu- ser d’être titulaires de charge, alors que nous remplissons tous les cri- tères. La profession de notaire n’ap- partient à personne. Tout Sénégalais qui remplit les conditions fixées par la loi doit pouvoir y accéder. Ce n’est pas normal que quelques individus s’en accaparent et en interdisent l’accès à tout citoyen qui n’est pas membre de leur cercle.’’
En fait, les ‘’frustrés’’ ont bravé des obstacles, surmonté des épreuves pour arriver au stade où ils se trou- vent. En 2013, pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, le concours d’aptitude à la profession de notaire est ouvert. Les candidats sont venus de tous les coins du Sénégal, de toutes les couches sociales et catégories profession- nelles. Ils étaient plus de 800 pour environ 25 postes. Au finish, seuls 22 candidats ont été admis à ce prestigieux concours. Un pas énorme venait ainsi d’être franchi pour eux. Enfin, ils espéraient pouvoir réaliser leur rêve : devenir notaire. Teint clair, costume sur mesure, Mouhamadou Yaya Diallo témoigne : ‘’J’ai toujours voulu être autonome, indépendant. C’est pourquoi, j’ai fait le concours. C’est également le cas pour la plu- part d’entre nous. Après l’avoir réussi, nous avons démissionné de nos précédents emplois pour devenir des notaires. Non pour rester des assistants’’. Hélas ! C’était sans compter sur l’ostracisme de certains anciens, ‘’très jaloux’’ de leurs privi- lèges. Me Mansour Diop ne démord pas. ‘’C’est du corporatisme qui ne dit pas son nom, fulmine-t-il. Il faut savoir qu’avant ce concours, les conditions étaient méconnues de tous. Il n’y avait aucune transpa- rence. Les personnes intéressées venaient directement demander leur inscription au registre, après 5 ans de stage.’’
Haro sur la ‘’monarchisation’’ de la fonction
La question qui se pose était alors de savoir quels étaient les critères à remplir pour devenir notaire sta- giaire. Eh bien ! Comme pour entrer dans n’importe quelle entreprise, il fallait être recruté par le ‘’proprié- taire’’. C’était donc la porte ouverte au népotisme, au clanisme et aux abus de toutes sortes. ‘’Les notaires préféraient en toute logique recruter des gens de leurs familles pour que la charge ne puisse pas leur échapper’’, souffle un de nos interlocuteurs
C’était une sorte de ‘’monarchie notariale’’, renchérit un autre tout sourire. Or, le titulaire de charge, aussi puissant soit-il, n’en n’est pas propriétaire. Celle-ci appartient à l’Etat.
Pour mettre un terme à cette forme de patrimonialisation des études notariales, le gouvernement d’Abdoulaye Wade, par le biais du décret 2002-1032 du 15 octobre 2002, avait institué le concours pour ‘’démocratiser’’ l’accès à la profes- sion. Depuis cette date, légalement, selon les amis de Mansour Diop, nul ne peut devenir notaire sans passer par le concours. L’espoir était ainsi né pour tous les aspirants à ce poste qui n’avaient pas de père, mère ou oncle notaires. Mais il a fallu attendre 11 longues années pour que le premier concours soit organisé par le régime du président Macky Sall, sous le magistère d’Aminata Touré, la Garde des Sceaux libératrice. Un concours très difficile que les contestataires ont réussi avec brio. Ils ont par la suite effectué leur stage de trois ans, conformément à la loi. Non sans dif- ficulté. En effet, certains notaires, qui rechignaient toujours à ouvrir les portes, refusaient de les prendre comme stagiaires. Là également, la ‘’dame de fer’’ réussit à décanter la situation. Elle les y oblige.
A leur sortie, les stagiaires s’attendaient juste à avoir des autorisations d’exercer. Il ressort des témoignages que les barons opposent leur véto pour des logiques de marché. En effet, estiment nos informateurs, ils craignent que la venue de nouveaux notaires n’entraîne la baisse de leurs parts de marché. ‘’Faux !’’ rétorque Christophe François N. Diouf, docto- rant, ancien juriste de banque, lui aussi démissionnaire d’une grande institution financière de la place. Selon lui, ces anciens jouissent déjà d’une bonne clientèle et qu’il y a dans le marché assez de place pour tout le monde.
Très puissants, les barons conti- nuent de dicter leur loi aux pouvoirs publics. Au grand dam de Mamadou Gaye Faye et Cie. Ancien greffier, ce dernier a démissionné de la Fonction publique pour devenir notaire. Il a auparavant exercé pendant plus de 8 ans dans les juridictions sénéga- laises. Très dégourdi, l’homme est titulaire de deux masters 2. L’un en Lettres modernes l’autre en Droit. Malgré les difficultés, il ne lâche pas prise. M. Faye est également un ancien de l’Apix. ‘’J’ai tout laissé pour devenir notaire. Nous deman- dons au ministre de la Justice de nous rétablir dans nos droits. Les textes sont très clairs. Nous ne demandons rien d’autre que leur application’’, peste-t-il.
Source: Enquête
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