Le patron des JO de Tokyo 2020 mis en examen, Papa Massata Diack encore éclaboussé
A un an et demi du début des Jeux olympiques (JO) de Tokyo, prévus du 24 juillet au 9 août 2020, c’est une nouvelle dont les organisateurs et le Comité international olympique (CIO) se seraient bien passés.
Le 10 décembre 2018, une personnalité japonaise de premier plan était interrogée, en toute discrétion, par la justice française. Selon les informations du Monde, Tsunekazu Takeda, président du Comité olympique japonais et maître d’œuvre des JO de Tokyo 2020, a été mis en examen du chef de » corruption active » par le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke.
Lemagistrat enquête depuis trois ans sur des soupçons de corruption en marge de l’élection de la ville hôte des prochains Jeux d’été. Et il soupçonne la victoire de la candidature japonaise, en 2013, d’être le fruit de tractations occultes lui ayant permis de gagner notamment la voix de membres africains du CIO.
Au Japon, Tsunekazu Takeda est une figure. Un pilier de l’olympisme dont l’organisation des JO d’été doit parachever une vie au service du sport. L’élégant homme de 71 ans, cheveux gris brossés en arrière et fines montures, incarne les JO de Tokyo, bien qu’il ne soit officiellement » que » vice-président du comité d’organisation.
L’arrière-petit-fils de l’empereur Meiji a participé à cinq JO depuis Munich en 1972, comme cavalier puis entraîneur de l’équipe d’équitation. Depuis 2001, il préside le Comité olympique japonais.
En 2012, M. Takeda est devenu membre du CIO, où il préside la commission du marketing. Surtout, en tant que président de la candidature nipponne, il est le principal artisan de la victoire de Tokyo, le 7 septembre 2013, à Buenos Aires.
Un mystérieux intermédiaire
C’est cette fonction qui lui vaut aujourd’hui sa mise en examen, sort déjà réservé par la justice brésilienne à Carlos Nuzman, maître d’œuvre de la candidature de Rio aux JO 2016.
La justice française soupçonne M. Takeda d’avoir autorisé le paiement de pots-de-vins en vue de l’obtention des Jeux. Deux virements effectués le 30 juillet et le 28 octobre 2013 en faveur de Black Tidings, une société basée à Singapour, pour un montant global de 1,8 million d’euros, intriguent les enquêteurs du Parquet national financier (PNF).
Ces mouvements d’argent ont été repérés par la cellule anti-blanchiment Tracfin, dans le cadre d’une première information judiciaire ouverte par le PNF, en octobre 2015, sur une affaire de corruption à la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF). Contacté par Le Monde, Me Stéphane Bonifassi, l’un des avocats de M. Takeda, n’avait pas réagi vendredi matin.
Pourquoi les dirigeants de Tokyo 2020 ont-ils accepté de verser, juste avant et après l’élection de la ville hôte, en 2013, d’importantes sommes d’argent à ce qui apparaît comme une coquille vide ? L’enquête a permis de déterminer qu’un mystérieux intermédiaire, Ian Tan Tong Han, était derrière Black Tidings. Et que cette structure, dont le nom en anglais signifie » sombres nouvelles « , a effectué de nombreux transferts d’argent avec un homme soupçonné d’être au cœur de plusieurs affaires de corruption sportive : Papa Massata Diack.
Fils de Lamine Diack, ancien président (1999-2015) de l’IAAF aujourd’hui mis en examen pour corruption et abus de confiance dans le premier dossier ouvert par le PNF, Papa Massata Diack est visé par un mandat d’arrêt international et considéré comme le » véritable bénéficiaire » de la société singapourienne. Il vit reclus au Sénégal. Les enquêteurs ont établi que Black Tidings avait réglé pour lui une facture de 85 000 euros de montres et articles de luxe, des achats fait à Paris en juillet 2013.
Le fils Diack est par ailleurs soupçonné d’avoir convaincu des membres africains du CIO de voter en faveur de la candidature de Rio pour les JO 2016 et celle de Pyeongchang (Corée du Sud) pour les JO 2018.
Or, la veille du vote de Buenos Aires pour l’attribution des JO 2020, brigués par Tokyo, Istanbul et Madrid, Lamine Diack parle à une douzaine de membres africains du CIO lors d’une petite réunion. Il leur annonce sa préférence pour la candidature japonaise. » Il y a eu un tour de table. Comme personne n’a réagi, je suppose qu’ils étaient tous pour Tokyo « , a-t-il dit au juge Van Ruymbeke.
Y a-t-il un lien entre ce lobbying de la famille Diack en faveur de la candidature de Tokyo et les versements faits à Black Tidings ? Ou s’agit-il uniquement, comme l’affirme Lamine Diack, d’un vote lié au soutien du Japon à sa fédération, l’IAAF ?
Pour le savoir, la justice française a requis des explications précises sur la raison de ces deux virements encadrant le vote de Buenos Aires. Dans le cadre d’une demande d’entraide judiciaire internationale, M. Takeda a été entendu le 6 février 2017 par deux membres du parquet général de Tokyo.
Le décor choisi pour recueillir sa version des faits est alors plus cosy que les bureaux du palais de justice de Paris : l’audition a lieu dans un hôtel luxueux de Tokyo, le Grand Prince Hotel New Takanawa.Ce jour-là, M. Takeda livre aux magistrats japonais sa justification des deux versements à Black Tidings. Et fait apparaître la frontière très fine entre démarches de lobbying et possible corruption.
Comme pour tous les paiements importants du comité de candidature, son président a été averti de cette dépense. » En juin ou en juillet 2013 « , le directeur général de Tokyo 2020, Nobumoto Higuchi, lui dit » qu’il serait important (…) de faire du lobbying auprès des membres du CIO lors des championnats du monde d’athlétisme « , organisés à Moscou du 10 au 18 août 2013. Moins d’un mois avant la date du vote crucial. De nombreux membres du CIO devraient être présents, dont le patron de l’IAAF à l’époque, le Sénégalais Lamine Diack.
M. Higuchi explique alors au président que la société Black Tidings a » des relations avec l’IAAF qui elle-même – est – liée avec le CIO » et que le groupe japonais Dentsu, géant de la publicité et impliqué dans la gestion de nombreuses compétitions sportives, lui a confirmé les » liens étroits » entre Black Tidings et l’IAAF.
Rapport » utile » et » profitable « M. Takeda autorise alors la commande d’un rapport à Black Tidings. » Même si à l’époque je ne connaissais pas du tout la société et son représentant, Ian Tan Tong Han, j’ai pensé qu’il devait s’agir d’un consultant capable, explique-t-il en février 2017, que le secrétariat avait dû choisir avec soin après avoir réuni des informations. » Au demeurant, les 770 000 euros réclamés par la société singapourienne pour rédiger son rapport ne lui paraissent pas exorbitants, loin de là, » comparés aux montants payés aux autres consultants avec lesquels le comité de candidature avait conclu des contrats « . Dans son souvenir, M. Takeda est informé en août 2013 que le rapport de Black Tidings a bien été envoyé au comité de candidature.
Problème : l’ancien patron du comité de candidature admet tout ignorer du contenu de ce rapport. Il serait d’ailleurs bien en peine de prouver l’existence du document. » Personnellement, je n’ai pas vu le rapport « , concède M. Takeda. » Mais, nuance-t-il, j’ai été informé par le secrétariat et le responsable de la division internationale qu’en plus d’informations générales sur la candidature aux Jeux olympiques et paralympiques, il y avait des informations concrètes et précieuses » concernant les préférences de certains membres du CIO, » qui divergeaient de celles – qu’il avait – obtenues jusque-là « .
Sans avoir vu le rapport, facturé 770 000 euros, l’ancien président du comité de candidature l’a tout de même jugé » utile » et » profitable » : » J’ai à nouveau approché ces membres – du CIO – pour les attirer, en leur présentant à quel point Tokyo était une ville parfaite pour la tenue » de l’événement.
A propos du deuxième virement, celui du 28 octobre 2013, d’un montant légèrement supérieur à 1 million d’euros, M. Takeda affirme que c’est à nouveau son directeur général qui lui a proposé de signer » un contrat supplémentaire avec Black Tidings « . Ce rapport-là devait exposer » les raisons du succès de la candidature de Tokyo auprès de l’assemblée générale du CIO « . Cette fois, M. Takeda dit avoir consulté le document fourni par Black Tidings et y avoir lu » des informations positives, très précieuses, qui pourraient être utiles pour toutes sortes de candidatures futures « , sans donner davantage de précisions.
Celles qu’il a pu apporter au juge Van Ruymbeke, le 10 décembre, n’ont visiblement pas suffi à écarter les soupçons d’irrégularité qui pèsent plus que jamais sur la candidature japonaise.
Papa Massata Diack encore éclaboussé
L’enquête a permis de déterminer qu’un mystérieux intermédiaire, Ian Tan Tong Han, était derrière Black Tidings. Et que cette structure, dont le nom en anglais signifie » sombres nouvelles « , a effectué de nombreux transferts d’argent avec un homme soupçonné d’être au cœur de plusieurs affaires de corruption sportive : Papa Massata Diack. Fils de Lamine Diack, ancien président (1999-2015) de l’IAAF aujourd’hui mis en examen pour corruption et abus de confiance dans le premier dossier ouvert par le PNF, Papa Massata Diack est visé par un mandat d’arrêt international et considéré comme le » véritable bénéficiaire » de la société singapourienne. Il vit reclus au Sénégal. Les enquêteurs ont établi que Black Tidings avait réglé pour lui une facture de 85 000 euros de montres et articles de luxe, des achats fait à Paris en juillet 2013.
Le fils Diack est par ailleurs soupçonné d’avoir convaincu des membres africains du CIO de voter en faveur de la candidature de Rio pour les JO 2016 et celle de Pyeongchang (Corée du Sud) pour les JO 2018.
Or, la veille du vote de Buenos Aires pour l’attribution des JO 2020, brigués par Tokyo, Istanbul et Madrid, Lamine Diack parle à une douzaine de membres africains du CIO lors d’une petite réunion. Il leur annonce sa préférence pour la candidature japonaise. « Il y a eu un tour de table. Comme personne n’a réagi, je suppose qu’ils étaient tous pour Tokyo « , a-t-il dit au juge Van Ruymbeke.
Y a-t-il un lien entre ce lobbying de la famille Diack en faveur de la candidature de Tokyo et les versements faits à Black Tidings ? Ou s’agit-il uniquement, comme l’affirme Lamine Diack, d’un vote lié au soutien du Japon à sa fédération, l’IAAF ?
Yann Bouchez (Le Monde)
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