DIALO DIOP sur le nom du Président Dia au Building administratif: «JE DOUTE DE LA SINCERITE DE MACKY SALL»

Selon Dr Dialo Diop, le fait que le Président Macky Sall donne le nom du Président Dia au Building administratif n’est que politique.

Décédé le 25 janvier 2009 à Dakar, Mamadou Dia qui fut le président du Conseil du gouvernement du Sénégal de 1957 jusqu’en 1962, date de sa rupture avec le Président Senghor, a été victime de son patriotisme. C’est la conviction de l’ancien secrétaire général du Rassemblement national démocratique. Selon Dr Dialo Diop, même si Senghor et les français ont voulu éliminer Mamadou Dia, aujourd’hui, l’histoire a départagé les protagonistes de l’époque de l’indépendance et que Mamadou Dia a eu raison sur Senghor. Il ajoute, dans cet entretien, que le fait pour le Président Macky Sall de donner le nom du Président Dia au Building administratif, n’est que politique.

Qu’est ce qu’est devenu le parti de Mamadou Dia aujourd’hui ?

C’est un parti qui a connu des phases successives depuis le MDP (Mouvement démocratique populaire) jusqu’au MSU (Mouvement pour le socialisme et l’unité) et qui comme la quasi-totalité des partis historiques de ce pays, a connu des scissions. A ma connaissance, la dernière variante du MSU scindée qui continuait à défendre l’héritage du Président Mamadou Dia, c’était le MPS Selalde Ahmadou Bamba Ndiaye. Mais d’autres vous diront que c’était celui qui avait conservé le nom MSU et qui était Massene Niang. Il est complètement dans Benno Bokk Yaakaar parce qu’il est aligné derrière Moustapha Niasse. Donc, on ne peut pas le considérer comme un héritier légitime de Mamadou Dia parce que Moustapha Niasse est un Senghoriste depuis l’origine jusqu’à ce jour. Ce que n’était pas Mamadou Dia. Si Mamadou Di a été victime du coup d’Etat, de la prison et de toutes les épreuves qu’il a connues dans sa vie, c’est parce qu’il était un patriote africain et non un agent de la Françafrique comme Senghor. Je suis incapable de vous dire avec certitude qui est aujourd’hui le dépositaire de la légitimité historique du patriotisme africain et du socialisme autogestionnaire que représentait le Président Mamadou Dia. Mais celui qui s’en rapproche le plus à mon humble avis, c’est Ahmadou Bamba Ndiaye du MPS Selal. Mais comme lui aussi, il a été à un moment aux côtés du libéral Abdoulaye Wade, on ne se retrouve plus dans les trajectoires des uns et des autres.

Peut-on dire que le Sénégal a raté son envol avec la rupture entre Mamadou Dia et le Président Senghor ?

Le Sénégal a connu successivement trois faux départs. Le premier faux départ, c’est l’échec du «Non» au référendum de 1958 alors que tout le pays votait Non et que toute l’élite politique était partisane de voter Non même le PRA Sénégal a appelé à voter Non au congrès de Cotonou. La seule exception, c’est Senghor qui a promis à De Gaulles qu’il ferait voter «Oui» on reste dans la colonie. Il a contré Mamadou Dia à le suivre dans son compromis qui était une compromission historique. Mais Mamadou Dia était pour le Non, il était contre le Oui. Et Senghor est venu presque lui confesser presque la larme à l’œil que  : « j’ai déjà donné ma parole à De Gaulles, tu ne peux le lâcher». Ils ont négocié toute une nuit. Estce que c’est dans 50 ans comme disait Senghor ou est- ce que c’est dans 5 ans comme disait Mamadou Dia ? Puisque le Non de la seule et unique exception guinéenne à casser la communauté franco-africaine dans les 2 ans qui ont suivi puisque dès 1960, ils ont été obligés de donner l’indépendance à tous ceux qui avaient prétendu vouloir rester sous la domination française. Le second faux départ, c’est l’éclatement de la Fédération du Mali qui va poser le même problème de l’opposition entre le patriotisme africain de l’US-RDA (Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain) de Modibo Keita et le collaborationnisme Françafricain de Senghor. On a été à l’indépendance en tant que Fédération du Mali. Le vrai père de l’indépendance, c’est Mamadou Dia. Parce que c’est lui et Modibo Keita qui ont signé avec De Gaulles. Ce n’est pas Senghor. Ils ont fondé le gouvernement et quand il s’agit de désigner le Président de la République, les Sénégalais ont dit que c’était Senghor. Les Soudanais ont dit non, «on n’a pas confiance, c’est un homme des français». Ils ont dit : «nous, on préfère Lamine Guèye». Les Sénégalais ont refusé en disant que «Lamine Guèye étant né à Kayes, il risquait de passer pour un Malien, on ne veut pas de lui». Là, les Soudanais ont dit «pourquoi pas toi Mamadou Dia». «Tu n’as qu’à prendre la Présidence de la République. Tu es patriote africain.» Mamadou Dia a été intransigeant, il a dit «c’est Senghor ou personne». Et c’est ça, avec le travail des français que l’éclatement de la Fédération a eu lieu. Elle n’a même pas duré 6 mois. Si les africains avaient pris leur indépendance dans de grands ensembles, les français n’auraient pas pu nous malmener, nous maltraiter comme ils le font, depuis 1960. Le troisième et dernier faux départ dans lequel est encore impliqué Mamadou Dia, c’est le coup d’Etat dont il a été victime, monté par Senghor et les français. Parce qu’il avait une politique dite de socialisme autogestionnaire et d’un patriotisme. Pour vous donner exemple, quand les français ont refusé l’indépendance aux Algériens, Mamadou Dia a rapatrié les soldats sénégalais qui combattaient aux côtés de l’armée coloniale. Un autre exemple de son patriotisme, quand les français ont fait exploser la bombe atomique à Reggane dans le Sahara, il a envoyé une lettre incendiaire à son homologue français, Michel Debray pour protester contre l’irradiation des populations sahéliennes et sahariennes. Les français disaient : « ce petit négro, pour qui il se prend pour discuter la politique nucléaire de la France ». Les français ont décidé de lui faire la peau et le facteur déclenchant, c’est quand il a été en mission à Moscou. Il était toujours président du Conseil du gouvernement et c’est en pleine guerre froide. Au retour, il fait une escale à Paris et il continue sur Dakar sans venir rendre compte aux autorités françaises de ce qu’il a obtenu à Moscou. Ils disent  : «pour qui il se prend». « Le gars, il va chez les soviétiques, il vient, il passe à Paris, il ne vient même pas nous dire ce qu’il a eu là-bas. C’est là qu’ils se sont dits que «ce gars-là il est dangereux». Ils ont décidé de l’éliminer. Pour monter le coup d’Etat contre lui, Henri Gallenca qui était le président français de la chambre de commerce à l’époque et PDG de la Cotoa (Compagnie qui commercialisait et fabriquait les bâches pour couvrir l’arachide), il a donné 100 millions à Théophile Dieng et autres Magatte Lo qui ont monté la motion de censure contre Dia et puis le coup fourré d’aller voter la motion hors de l’Assemblée nationale. On a piégé Mamadou Dia et ses camarades les Valdiodio Ndiaye et Ibrahima Sarr l’avaient averti. Ils lui avaient dit « si on n’arrête pas Senghor, c’est lui qui va nous arrêter  » mais Mamadou Dia était tellement confiant dans l’amitié et fidélité de Senghor. C’est lui qui a amené Senghor au pouvoir. Senghor l’a cravaté et l’a mis en prison à perpétuité. C’est le troisième faux départ et c’est là où l’avenir du Sénégal a été irrémédiablement compromis. Parce que Mamadou Dia allait mettre le pays sur les bons rails. Senghor a déraillé et fourvoyé le pays jusqu’à aujourd’hui.

Est-ce qu’aujourd’hui, le fait de donner le nom de Mamadou Dia au Building administratif ne participe pas à sa réhabilitation ?

Mamadou Dia a déjà été réhabilité par l’histoire puisque tout le monde est d’accord que le régime de Senghor s’est soldé par un échec. Celui du successeur qu’il nous a imposé par un second échec et enfin celui de son opposant favori qui avait créé son parti de contribution en connivence avec lui à l’époque Me Wade, est également soldé par un échec retentissant. Donc rétrospectivement et a postériori, on peut dire que l’histoire a départagé les protagonistes de l’époque de l’indépendance et que Mamadou Dia a eu raison sur Senghor. D’autant qu’il y’a un film qui a été fait par William Mbaye qui s’appelle « Président Dia » et qu’on refuse à diffuser au Sénégal. Il y’a à peine qu’il a été diffusé pour la première fois par la 2STV. Quand vous regardez ce film, vous voyez bien ce qui a opposé Senghor et Mamadou Dia et qui a eu raison sur l’autre. La deuxième chose, c’est que le conseil municipal de la Ville de Dakar sous la présidence de Khalifa Ababacar Sall avait décidé de donner au Boulevard de la République le nom du Président Dia et c’est les conseils municipaux qui sont souverains pour ça. Ils ont voté et adopté la décision. Jamais, ils n’ont pu la mettre à exécution aussi bien sous Wade que sous Macky Sall. Aujourd’hui, en pleine période électorale, Macky Sall se réjouit à faire ce geste symbolique-là, on est fondés à douter de la sincérité. Parce que si c’était sincère, ils auraient laissé l’Avenue de la République porter le nom de Mamadou Dia comme l’Avenue Roume porte le nom de Senghor. L’histoire réhabilite Mamadou Dia parce que le temps a fait son œuvre alors que plus personne ne parle de Senghor et ne se réclame de Senghor puisque Senghor se disait socialiste africain. Regardez tous les débris de son parti sont alignés derrière le jeune libéral du moment toute tendance confondue alors que Mamadou Dia, son nom et son poster sont la devise du parti Pastef et que la permanence qui a été saccagée la semaine dernière, c’est la photo de Mamadou Dia qui est à la devanture de cette permanence de Pastef à Yoff dont Ousmane Sonko se réclame explicitement. Ce qui montre que le projet police de Mamadou Dia est encore vivant puisque la génération actuelle se l’approprie alors que le projet senghorien est mort et enterré alors que Senghor lui-même était encore vivant.

sud quotidien

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