Habillage de gris-gris: Les mystères de la cordonnerie

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L’enrobage de gris-gris est sans doute le pan de la cordonnerie qui cultive davantage le mystère. La survivance de ce métier dans la tempête de la modernité rend compte du rapport de la société avec le monde du « souterrain ».

Des peaux de moutons traitées, accrochées à un coin de la tente de fortune, quelques bougies, un rouleau de fils négligemment jeté par terre, dans un espace qui ne fait pas plus de 3 m2. C’est ici que Pa Thialy exerce son métier depuis plusieurs décennies. Il est cordonnier, coud et enveloppe des talismans que lui confie sa clientèle. Entre des formules magiques écrites, morceaux de miroir, bouts de corne, les cordonniers spécialisés dans l’enrobage de gris-gris en voient de toutes les couleurs. Avec des peaux d’animaux de toutes sortes, ils enveloppent des amulettes. Ils ont, soit par héritage ou par le pur des hasards, embrassé ce métier plein de mystères. Des doigts devenus rigides, un caftan bien vieux, le visage gras, le temps et la besogne semblent avoir fait leur œuvre de « dépérissement ». « Je pratique ce métier depuis mon très jeune âge. Je ne devais même pas avoir 15 ans. J’ai côtoyé mon père qui m’a appris le métier et ses subtilités », se souvient-il. À l’époque, confie-t-il, quel que soit le volume de travail, « il y a des peaux ou gris-gris qu’il refusait de me donner. C’est après que j’ai compris qu’il y avait des peaux de bête qui pouvaient rendre fou ». Pis, dit-il, certains, faute d’encadrement adéquat, ont perdu la raison. « Un de mes oncles était dépressif. Et d’après ce qu’on m’a raconté, c’est en cousant un gris-gris qu’il a découvert des fourmis. Il a eu des maux de tête terribles et a commencé à plonger dans la dépression, avant de perdre la vie », raconte-t-il. Les gris-gris « classiques », d’après lui, sont cousus avec des peaux de vache, de mouton ou de chèvre.

Se mettre nu en enveloppant le talisman

Si la recette moyenne est de 5.000 FCfa par jour pour bon nombre de cordonniers, il arrive qu’elle grimpe avec un seul client jusqu’à 50.000 FCfa. Si l’on en croit Assane Samb, qui s’est reconverti dans la percussion, il y a des amulettes qu’on ne fabrique pas n’importe comment. Par exemple, renseigne-t-il, « certains demandent au cordonnier d’être tout nu. Pendant qu’il fait le travail, il ne doit ni parler ni se déplacer. C’est très exigeant. Il y a aussi ceux qui nous amènent chez eux ou dans des endroits cachés pour faire le travail. Pour cela, il faut payer au moins 50.000 FCfa. D’autres exigent le double. C’est risqué. On peut y trouver toutes sortes de surprises ». Par ailleurs, révèle Pa Thialy, pour ceux qui voyagent, le gris-gris est, le plus souvent, fabriqué la nuit, en directionde la Kaba et en silence. « Certains te donnent même des tenues à porter pendant le travail », ajoute-t-il.

Les fabricants de gris-gris sont, pour la plupart, de grands voleurs. La confidence est d’Assane Samb, ancien cordonnier. Le phénomène, selon lui, est particulièrement présent chez les plus expérimentés. « Rien qu’en regardant le gris-gris, ils peuvent savoir que c’est du lourd. Très souvent, ils n’hésitent pas à le remplacer par un autre talisman ou un simple morceau de bois. J’ai été plusieurs fois témoin de scènes de vol », révèle-t-il. Ayant compris le subterfuge, beaucoup exigent que le travail se fasse devant eux. « Les gens comptent sur la discrétion des cordonniers. C’est pourquoi la plupart des clients déposaient le gris-gris et repassaient le récupérer. Maintenant, les gens sont devenus plus prudents. Les cordonneries ont la même architecture, en forme de case pour que le client ne soit pas vu par les passants », explique M. Samb, heureux d’avoir quitté ce monde des mystères.

Des voleurs invétérés de gris-gris

Jadis dédié à une certaine caste, le métier ne cesse d’attirer d’autres classes. Formé dans la fabrication de sandales en cuir, Pape Demba s’est reconverti en confectionneur d’amulettes. Une activité qu’il juge plus rentable. « C’est un métier comme les autres. Je l’ai appris sur le tas. On s’amusait un peu avec le reste des cuirs. Mais avec la concurrence des produits chinois, les chaussures ne se vendaient plus comme auparavant. J’ai posé une petite table devant chez moi, c’est de là que tout est parti », raconte-t-il, heureux de s’y frayer un chemin. Ses parents restés au village en ont fait toute une histoire. « Ils estiment que nous sommes des nobles. Par conséquent, ce type de travail n’est pas fait pour nous. Je ne m’attarde pas sur ces détails. C’est un travail qui me permet de nourrir ma famille légalement. Que demander de plus? »

Non loin de la boulangerie de Dalifort, Ibrahima, l’air jeune, est trahi par son accent bambara. Si au début il travaillait comme journalier dans la boulangerie, il s’est mué aujourd’hui en cordonnier spécialisé dans l’enrobage de gris-gris. « Je ne me plains pas du tout. Le charlatanisme marche au Sénégal. Il suffit d’être dans un endroit discret et être connu pour s’en sortir. Beaucoup de clients n’aiment pas être vus. Ils préfèrent déposer le gris-gris et repasser le récupérer plus tard. La recette journalière peut facilement atteindre 5000 FCfa », confie Ibrahima. Une activité rentable qui a attiré beaucoup de ses compatriotes maliens.

À l’en croire, ils sont très nombreux à pratiquer le métier. « J’en ai formé beaucoup. Dès qu’ils arrivent, je les amène à mon atelier. Quand ils découvrent les arcanes du métier, je les aide à trouver un endroit pour voler de leurs propres ailes », dit-il, fier. Si aujourd’hui la peau de mouton est la préférée pour les amulettes, certains travaux exigent des peaux difficiles à trouver. Un créneau que les Haoussa ont investi. « Rien qu’un morceau de certaines peaux peut coûter 50.000 FCfa. C’est très souvent des peaux de lion, d’hyène… », explique Pa Thialy, vieux briscard à qui le temps a fait aimer cet univers du « souterrain ».

Le Soleil

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